Deux expositions franciliennes montrent comment, dans ses résidences, Napoléon a endossé une partie de l’héritage de l’Ancien Régime, tout en soutenant la création dans les arts décoratifs français.
Paris et Fontainebleau. Avec près de six cents œuvres et des catalogues très documentés, deux expositions, sous le commissariat de Thierry Sarmant et Jean Vittet, éclairent la façon dont Napoléon Bonaparte a géré et utilisé les palais dans lesquels il vivait. Lorsqu’il est devenu Premier Consul, sa résidence fut fixée aux Tuileries. Il s’installa dans les anciens appartements de Louis XVI, tandis que Joséphine investissait ceux de Marie-Antoinette. Outre ce qui était resté sur les lieux, le Garde-meuble, le Muséum central et le Musée de Versailles disposaient de meubles et d’étoffes pour l’ameublement. Ainsi, une bordure de tenture en soie (1785) brodée de lilas et de roses, qui avait été commandée au Lyonnais Desfarges pour la chambre de Marie-Antoinette à Versailles, fut recyclée pour le rideau d’alcôve de la chambre de Bonaparte. Dans le second salon du Premier Consul furent installés les anciens sièges (1798-1799) du directeur Jean-Baptiste Treilhard au Luxembourg. Ils étaient l’œuvre des frères Jacob et ont conservé leur garniture de soie d’origine qui datait de Louis XVI. À la demande du Premier Consul furent accrochées de grandes tapisseries des Gobelins, de la Savonnerie et de Beauvais des XVIIe et XVIIIe siècles.
En 1802, Bonaparte devint consul à vie. Il fit racheter les tapis de la Grande Galerie du Louvre et en décora les Tuileries où subsistaient les plafonds du XVIIe siècle. Le mobilier mêlait les styles Louis XVI, Directoire et Consulat. Même après être devenu empereur en 1804, Napoléon continuait de puiser dans le Garde-meuble. Cependant, les pièces d’apparat et celle qui se trouvait au cœur du pouvoir impérial, son grand cabinet des Tuileries, donnaient lieu à des commandes somptuaires. L’état de 1814 du grand cabinet est reconstitué dans l’exposition des Gobelins : on y trouve un meuble à hauteur d’appui en ébène orné de bronzes dorés (1811-1812) et le fauteuil de l’Empereur (1814), tous deux de François Honoré Georges Jacob-Desmalter, ainsi qu’un paravent rouge et or de la manufacture des Gobelins (1812-1813). Aux murs sont accrochés les cartons des portières de la galerie de Diane – une seule de ces tapisseries a subsisté. L’emblème de l’Empereur est partout : des aigles, des abeilles et le N qui demeure sur le dossier du trône des Tuileries (1804) par le même Jacob-Desmalter. C’est particulièrement cette initiale que fera effacer Louis XVIII partout où elle apparaissait.
À Fontainebleau, les pièces où vivait l’Empereur ont été conservées et les visiteurs peuvent pénétrer dans sa grande chambre à coucher ou son cabinet de travail.
En juin 1804, Napoléon décida que le château devrait pouvoir, en décembre, accueillir le pape en route pour Paris. L’exposition temporaire permet de découvrir comment il a travaillé avec l’architecte Pierre François Léonard Fontaine qui l’a accompagné durant tout le règne avec son confrère Charles Percier, architecte de génie auquel le style Empire doit tout. On y perçoit bien le respect que Napoléon avait pour le bâtiment ancien, malgré son caractère composite. Prenant la suite de François 1er, il créa en 1805 la galerie de l’Empereur où étaient présentés des bustes de personnages historiques depuis l’Antiquité qu’il choisit personnellement et au nombre desquels il prit soin de faire figurer ses aides de camp morts au combat. Ces bustes alternaient avec des aquarelles panoramiques de Giuseppe Pietro Bagetti évoquant la guerre d’Italie.
Outre ses forêts giboyeuses qui accueillaient ses chasses, l’un des attraits de Fontainebleau, pour Napoléon, était le jardin où il pouvait se promener en toute tranquillité. Dès 1805, il demanda qu’il soit restauré et y fit installer des sculptures. Des collections nationales, il fit venir des meubles dans ce château complètement vidé à la Révolution, gardant les décors anciens comme le boudoir d’argent de Marie-Antoinette qui devint celui de Joséphine. Affectionnant particulièrement le mobilier d’André-Charles Boulle – jusqu’en 1807 inclus, il choisissait tout lui-même, jusqu’aux luminaires et aux pendules –, il acheta en 1805 une commode (vers 1700) de cet ébéniste de Louis XIV, pour sa chambre. Il fit apporter au château de nombreuses œuvres d’art dont une galerie de 250 tableaux de maîtres. Enfin, dès 1804, il disposa à Fontainebleau de plusieurs bibliothèques, acquérant des ouvrages parfois très anciens. Trente-sept mille volumes y sont encore conservés.
Dans les palais impériaux, toujours debout ou disparus au cours de la guerre de 1870-1871 et de la Commune de Paris, il ne faut pas négliger l’apport de Joséphine. Aux Gobelins est évoqué son salon bleu de Saint-Cloud : elle a choisi d’y faire venir des sièges qui avaient appartenu à Marie-Antoinette et les a mêlés à des meubles du Consulat dans l’esprit « retour d’Égypte ». Dans le salon abricot, restitué dans une vidéo 3D, on découvre son goût des couleurs. De son boudoir indien provient une console de style oriental des frères Jacob (1796-1803). Les murs y étaient tendus de taffetas vert brodé de soie violette. Succédant à une reine qu’elle admirait, elle était devenue à son tour l’incarnation du chic absolu.
La Monnaie au cœur du pouvoir
Numismatique. En 1803, Bonaparte, Premier Consul, crée le franc germinal. Au cours d’une visite qu’il fait à la Monnaie de Paris pour préparer cet événement, un jeton d’or à son effigie, gravé par Pierre Joseph Thiolier, est frappé devant lui. Ce portrait figurera sur la nouvelle monnaie [voir ill.]. Une étape importante sur le chemin du pouvoir absolu est franchie par ce choix de Napoléon de lier son image à celle du pays, comme le faisaient les rois de France. L’exposition du Musée de la Monnaie montre dans quelle logique cette action prenait place. Dominique Vivant-Denon, directeur de la Monnaie des Médailles de 1802 à la fin du règne, fit graver par les meilleurs artistes des médailles commémoratives des batailles. Des médailles à l’effigie de l’Empereur et de l’impératrice furent produites dans tous les métaux pour être accessibles à toutes les bourses. Parallèlement, la Monnaie réalisait aussi les décorations dont la fameuse Légion d’honneur. Discrète mais capitale, elle se trouvait au centre du pouvoir impérial.
Élisabeth Santacreu
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°576 du 29 octobre 2021, avec le titre suivant : Napoléon, mécène en ses palais