PARIS
L’exposition « Paris – Athènes. Naissance de la Grèce moderne (1675-1919) » met en lumière l’histoire de nos liens avec la Grèce qui, il y a deux cents ans aussi, se battait pour se libérer du joug ottoman. Une invitation à redécouvrir l’histoire épique de la Vénus de Milo que les visiteurs du Louvre admirent depuis 1821 .
« Petit miroir, petit miroir, Quelle est la plus belle de tout le pays ? » Longtemps, le miroir de la Vénus d’Arles répondait à cette dernière qu’elle était bien la plus belle. Découverte en 1651 à Arles, aussitôt convoitée par le roi Louis XIV et restaurée par le sculpteur François Girardon qui lui greffa des bras et la dota de ses attributs, une pomme et un petit miroir, cette Vénus attirait tous les regards des visiteurs du Louvre. Mais voici qu’au mois de mars 1821, la sublime déesse entendit ce petit miroir lui souffler qu’une autre lui ravissait la première place : une Grecque, venue de l’île de Milo, sans bras, et dont le bout du nez était cassé. Il n’empêche. La beauté de la nouvelle venue est à couper le souffle. Et, par son histoire épique, la voilà qui incarne la liberté aussi bien que l’idéal de beauté hérité de la Grèce antique. La Vénus d’Arles est éclipsée. Deux siècles après, la Vénus de Milo, désormais l’une des sculptures les plus célèbres au monde, est le cœur de l’exposition « Paris – Athènes. Naissance de la Grèce moderne (1675-1919) », au Louvre, qui célèbre ce bicentenaire en mettant en lumière le rôle de la Grèce dans la constitution de l’identité culturelle de l’Europe, et particulièrement de la France.
Ce mois de mars 1821, donc, l’arrivée de la Vénus de Milo, offerte par le roi Louis XVIII au Louvre, fait sensation. Il faut dire que les Grecs, gagnés par les Lumières et enthousiasmés par la Révolution française, se soulèvent alors contre le joug de l’Empire ottoman. La révolution du 25 mars 1821 marque le début de la guerre d’indépendance. Les écrivains romantiques, Victor Hugo ou François-René de Chateaubriand en France, Lord Byron en Angleterre, prennent fait et cause pour les Grecs. Après la libération d’Athènes, du Péloponnèse, de Missolonghi et de Thèbes, les Grecs proclameront leur indépendance en 1829, soutenus par les grandes puissances européennes. Pour l’heure, les journaux ne parlent que des débuts de cette guerre des Grecs contre les Turcs. « On présente aussitôt la Vénus de Milo comme l’antique arraché à la barbarie turque, comme l’ambassadrice de la Grèce qui combat pour la liberté et retrouve en France sa patrie, celle de la liberté… », souligne Jean-Luc Martinez, président-directeur honoraire du Musée du Louvre, archéologue et commissaire de l’exposition.
La statue a été découverte un an auparavant, en 1820, par un paysan grec de l’île de Milo. Des navires militaires français y font alors escale. « C’est la plus occidentale des îles des Cyclades : lorsque les flottes de guerre occidentales arrivent en Méditerranée orientale, c’est leur première escale vers Constantinople. En consultant les archives, entre avril 1820 et mars 1821, on s’aperçoit que tous les jours ou tous les deux jours, un navire de guerre occidental passe à Milo », explique Jean-Luc Martinez. La découverte de la statue est rapportée à l’ambassadeur de France à Constantinople, le marquis de Rivière, qui achète aussitôt l’œuvre. Une façon pour lui de s’inscrire dans une tradition qui remonte au XVIIe siècle, mise en lumière dans l’exposition du Louvre : d’autres ambassadeurs de France en route vers Constantinople ont en effet acheté des antiquités pour le roi avant lui. Ainsi, en 1675 déjà, le marquis de Nointel, ambassadeur de Louis XIV auprès de la Sublime-Porte, s’arrête à Athènes et collecte des antiquités ; puis, en 1788, c’est au tour de celui de Louis XVI, Choiseul-Gouffier, de faire une halte fructueuse à Athènes. Le marquis de Rivière exulte : c’est son tour. De plus, suite à la seconde abdication de Napoléon Ier en 1815, la France a dû rendre les chefs-d’œuvre saisis en Allemagne et en Italie. Sans le Laocoon ou l’Apollondu Belvédère, le Musée des antiques du Louvre semble bien vide… La Vénus de Milo arrivera à point.
Mais voilà entre-temps, l’amiral de la flotte ottomane, le prince Nicolas Mourouzi, a chargé la Vénus sur son navire ! Lorsque les bateaux militaires français arrivent et découvrent l’enlèvement de Vénus, ils contraignent les marins turcs à la débarquer in extremis du navire amiral. Sans cette intervention, la Vénus de Milo serait donc aujourd’hui dans une résidence privée à Istanbul, à moins qu’elle n’ait été détruite ou jetée dans les eaux du Bosphore par des Ottomans qui auraient voulu se venger ainsi de la révolution grecque… Les journaux se font l’écho de cette histoire rocambolesque et le nu féminin devient l’allégorie même de la liberté. Quand Delacroix, qui n’a alors jamais voyagé, représente La Grèce sur les ruines de Missolonghi– peinture monumentale conservée au Musée de Bordeaux, qui met en scène la résistance héroïque au siège des Ottomans en 1826 pendant la guerre d’indépendance –, la Grèce apparaît comme une femme à la poitrine dénudée, comme une réponse à la Vénus de Milo, en face de laquelle elle sera présentée dans l’exposition du Louvre !
La « Vénus » de Milo ? Dès le début, son identité fait pourtant débat : s’agit-il vraiment de Vénus ? « On entretient à son sujet un mystère qui n’existe pas », répond Jean-Luc Martinez. De fait, la main de la statue, tenant une pomme, a été retrouvée. On sait donc qu’il s’agit d’Aphrodite, dont Vénus est le nom latin. La mythologie raconte en effet que lors d’un banquet nuptial auquel elle n’était pas invitée, Éris, la Discorde, a jeté pour se venger une pomme destinée « à la plus belle ». Immédiatement, Héra, Aphrodite et Athéna revendiquent ce titre. Zeus, qui ne veut guère se fâcher avec sa femme Héra, demande à un mortel de faire ce choix – ce sera Pâris. Aphrodite promet à ce dernier la main de la plus belle femme, Hélène de Sparte. Elle remporte la pomme. Pâris enlève alors Hélène, femme de Ménélas ; c’est le début de la guerre de Troie… Encore une histoire que la Vénus de Milo rappelle à ceux qui la contemplent et qui participe de sa notoriété !
Dès son arrivée, les esprits du Louvre s’échauffent. Faut-il la restaurer ? Reconstituer ses bras, comme on l’a fait pour la Vénus d’Arles ? Refaire son bout du nez abîmé, soigner son pied ? Contrairement au goût du XVIIIe siècle, qui préférait donner à voir des œuvres complètes, les conservateurs et restaurateurs français décident de la laisser presque en l’état. Une première. Reste ensuite à déterminer l’endroit où l’exposer. Seulement voilà : sa beauté et sa célébrité éclipsent les autres œuvres. Quel que soit l’endroit où on l’expose, la Vénus de Milo, qui a fait en deux siècles le tour du musée, fait le vide autour d’elle. En 2010, elle retrouve le lieu où elle avait été exposée à son arrivée : au sein de l’ancien pavillon du roi, dans la salle la plus grande du département des antiquités, où elle peut jouir de 250 m2 rien que pour elle.
Aussitôt, poètes et artistes s’éprennent de la Vénus de Milo et la célèbrent. Paul Cézanne la dessine, Auguste Rodin compose un long poème à la « merveille des merveilles » – « Quelle splendeur en ton beau torse, assis fermement sur tes jambes solides, et dans ces demi-teintes qui dorment sur tes seins, sur ton ventre splendide, large comme la mer ! C’est la beauté étale, comme la mer sans fin... Tu es bien la mère des dieux et des hommes », lui chante-t-il. D’autres la détourneront, comme Dalí qui en fait une Vénus aux tiroirs ou Yves Klein qui la colore de son fameux bleu.
Même l’arrivée de la Victoire de Samothrace, découverte dans les années 1860, dans le nord de la Grèce, n’a pu entacher sa célébrité. Du reste, la nouvelle arrivée est constituée de centaines de fragments, et demeure dans l’ombre pendant une vingtaine d’années. Difficile alors de rivaliser avec la Vénus de Milo : il faudra une vingtaine d’années pour qu’on comprenne qu’il s’agit d’une Victoire, qu’on la place sur sa proue et qu’on reconstitue ses ailes. C’est seulement à partir de 1884 que la Victoire de Samothrace, placée en haut du grand escalier, révèle sa beauté. Mais elle n’éclipsera pas la Vénus de Milo, loin s’en faut. Ensemble, elles incarnent une certaine idée de la Grèce. « La Vénus est une allégorie de l’amour célébrée par nos poètes, artistes et musiciens ; avec ses formes, ses deux petites fossettes au-dessus des fesses, elle incarne aussi le nu féminin propre à l’art occidental, et son souci de la représentation de la sensualité et de la chair », explique Jean-Luc Martinez. Quant à la Victoire de Samothrace, elle est l’ancêtre de nos monuments commémorant l’histoire, et représente une autre grande préoccupation de l’art occidental par son drapé sculpté de façon virtuose, que l’on voit plaqué sur son corps par les embruns, provoquant un jeu subtil entre ce qui se cache et se révèle en même temps.
En 1964, André Malraux fait voyager la Vénus de Miloà Tokyo et Kyoto. Mais le long trajet en bateau est éprouvant : elle arrive au Japon endommagée. Des marbriers du Louvre viendront à son chevet en urgence. Après ce périple au pays du Soleil-Levant, la Vénus de Milo ne quittera plus le Louvre. Suite à une restauration en 2010, la voici plus belle que jamais pour son bicentenaire au Louvre. A-t-on vraiment besoin de voyager quand des millions d’amoureux y affluent du monde entier au fil des années et des siècles pour vous entrevoir et vous adorer ?
"Paris-Athènes", l’exposition du Louvre
Voilà deux cents ans que la Grèce s’est soulevée pour la liberté et que la Vénus de Milo a fait son entrée au Louvre ! À l’occasion de ce double anniversaire, l’exposition « Paris-Athènes. Naissance de la Grèce moderne (1675-1919) » raconte comment se sont tissés nos liens avec cette Grèce qui naît en tant que nation au XIXe siècle, alors même que l’archéologie scientifique se développe. Pour mettre en perspective cette vocation de la Grèce dans la constitution de notre identité culturelle, son entrée dans la modernité aussi bien que sa place dans les collections du Louvre, ce parcours ambitieux inscrit ce moment fécond de l’histoire dans un temps long. Il nous entraîne ainsi du XVIIe siècle, lorsque les ambassadeurs en route vers la Sublime-Porte découvrent en Grèce une province ottomane, jusqu’en 1919, quand le groupe grec Techni, proche des avant-gardes européennes, expose ses œuvres à Paris.
Marie Zawisza
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La Vénus aux mille histoires
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°747 du 1 octobre 2021, avec le titre suivant : La Vénus aux mille histoires