À Marseille, Éléonore False déconcerte et séduit

Marseille. Le Frac Sud invite Éléonore False (née en 1987) pour sa première exposition d’envergure dans une institution française. L’artiste y présente sept séries d’œuvres – textiles, sculptures et collages – réalisées au cours de la dernière décennie. En concevant la scénographie pour le plateau du premier étage, Éléonore False s’est attachée à neutraliser autant que possible les éléments techniques de l’architecture du bâtiment (signée Kengo Kuma). Elle a ainsi camouflé les deux trappes de désenfumage en les tapissant de grandes impressions photographiques, issues de ses recherches, en 2024, autour des collections de poupées du Nouveau Musée national de Monaco. Les visages aux grands yeux peints surplombent l’exposition de leur présence étrange en jouant de la verticalité de l’espace. Pour pallier l’absence de cimaises, l’artiste a par ailleurs dessiné deux cloisons semi-circulaires de tulle. Suspendues depuis le plafond, celles-ci forment deux grandes virgules qui orientent le regard. Leurs courbes accueillent plusieurs œuvres : celles de la série « Quilts – The Right Interfacing » sont des extraits agrandis de patrons de couture transposés sur un molleton blanc immaculé. Une légère incongruité résulte de la rigidité de leurs schémas décontextualisés, par contraste avec la douceur scintillante et ouatée du tissu. De la même façon, la tapisserie en laine Chevelure #1 est un zoom sur des cheveux en bataille dont l’échelle, plus proche de celle d’un paysage, déconcerte, tout comme la ligne ondulée de la découpe au ciseau du textile, laissant deviner le geste de la main.

Les parois de tulle, en structurant l’espace, créent également plusieurs points de vue, selon une logique de fragmentation qui fait écho à celle des collages qu’affectionne Éléonore False depuis ses débuts : en témoignent les œuvres des séries « Vases » et « Modes & Travaux » accrochées aux murs. Jouant avec le vis-à-vis de la terrasse arborée, sur laquelle s’ouvrent les hautes baies vitrées qui permettent à la lumière naturelle d’entrer à flots, l’artiste a disposé au sol un ensemble de « Tulipes ». Ces sculptures-objets constituées d’opalines rétro empilées figurent des plantes lumineuses dont les fils électriques seraient les racines apparentes.

La subtilité de la démarche d’Éléonore False consiste à se tenir sur le seuil, sans donner les clefs. L’attention du visiteur se déplace des images hybridées ou agrandies aux objets du quotidien métamorphosés, à l’intersection des arts appliqués et d’un cheminement conceptuel. Dans cette scénographie à l’esthétique minimaliste qui laisse cependant éclore des visions oniriques, on se prend à chercher la consigne, puisque celle-ci ne saurait venir de ces modes d’emploi pour apprentie couturière. Un trouble, un amusement peut-être survient. « L’exposition se donne à voir comme une grande installation, sans pour autant être hermétique, estime Muriel Enjalran, la directrice du Frac. D’autant que nos médiateurs et médiatrices sont toujours dans les salles pour accompagner les visiteurs qui le souhaitent, et que le livret se veut également pédagogique. » Libre à chacun(e) d’aller plus loin, par exemple en se plongeant dans la riche monographie publiée à cette occasion qui rassemble des textes courts, un portfolio nourri et un entretien avec l’artiste.