Architecture - Biennale

La très sérieuse biennale d’architecture et de paysage de Versailles

Par Jean-Christophe Castelain · Le Journal des Arts

Le 17 juin 2022 - 998 mots

VERSAILLES

La deuxième édition de la BAP donne (beaucoup) à penser sur les nouveaux enjeux urbanistiques. La dimension paysagère dans la ville y figure en bonne place d’honneur.

Versailles. La 2e édition de la Biennale d’architecture et de paysage (BAP) de Versailles est à l’image de son maire (divers droite) et commissaire général, François de Mazières : sobre et cérébrale. Il y a parfois plus à lire qu’à voir. Il est vrai qu’une telle manifestation est moins faite pour plaire que pour instruire : l’urgence écologique oblige les architectes, urbanistes et paysagistes à faire preuve d’une démarche écoresponsable et à repenser les villes pour y laisser plus de place à la nature.

Des neuf expositions dont la majorité est regroupée au début de l’avenue de Paris, en face du château, c’est celle de l’École nationale supérieure d’architecture de Versailles (ENSA-V), logée dans la Petite Écurie, qui est la plus « expogénique », comme on dit d’une personne qu’elle est photogénique. Elle ambitionne de« faire émerger de nouvelles formes architecturales à partir des matériaux et énergies disponibles localement ». Elle y parvient en donnant à voir une quarantaine de maquettes que l’on qualifiera d’« expériences architecturales », qui vont de l’objet le plus attendu (une maquette d’édifice construite dans du bois dans toutes ses étapes, du tronc brut aux tasseaux bien lisses) à un potager d’intérieur miniature (Sam Chermayeff & The Frenchie Gardener). Cette exposition dans la grande nef est précédée à l’extérieur par un alignement des matériaux de construction présents en Île-de-France, de dispositifs permettant de matérialiser les énergies disponibles (éolien, solaire thermique…) et de quatre grandes installations relevant davantage de l’art conceptuel (la table humide de LCLA Office, le Pavillon de Mary Duggan) que du projet d’architecture.

À partir de rejets d’éléphant

Pour voir des architectures grandeur nature tout en restant dans la Petite Écurie, on ira dans une cour voisine de l’ENSA-V, qui accueille trois grands pavillons conçus par autant de lauréats du Global Award for Sustainable Architecture organisé par la Cité de l’architecture et du patrimoine (Paris). Se détache le pavillon intitulé « Le Théâtre de l’éléphant » de l’architecte thaïlandais Boonserm Premthada, constitué de briques fabriquées par des paysans avec les fibres que rejettent leurs éléphants domestiques. Au passage, il est vivement recommandé d’aller jeter un coup d’œil, toujours dans la Petite Écurie, à la Galerie des sculptures et des moulages, ouverte seulement pendant la biennale. Les copies en gypse de statues antiques célèbres n’ont aucun rapport avec la BAP, mais c’est l’occasion de découvrir ce lieu unique.

De l’autre côté de l’avenue de Paris, l’ancienne poste, qui doit être restaurée, accueille deux expositions très différentes. Au rez-de-chaussée, L’Institut Paris Région a réalisé une immense maquette de l’Île-de-France faite de terre et de végétaux afin de montrer le socle géologique et la diversité des sols et de la flore de la région. Les courageux liront dans le hall tous les panneaux de textes offrant de comprendre « comment nous nous ancrons sur ce territoire ». Les plus audacieux monteront au premier étage pour découvrir le projet de village olympique en Seine-Saint-Denis. Le propos est passionnant car il plonge au cœur des nouveaux enjeux de reconversion urbaine, et ici dans des proportions considérables. Mais malgré les dispositifs visuels, il faut se concentrer pour en saisir ne serait-ce que les grandes lignes.

Le trajet vers l’École nationale supérieure de paysage (ENSP), lieu d’une exposition ambitieuse, offre une double respiration visuelle bienvenue dans ce parcours exigeant. L’une des contre-allées de l’avenue de Paris accueille des plaques de marbre prêtées par Les Marbriers de Versailles ; d’origine géographique diverse, elles constituent de véritables tableaux abstraits. Plus dans le sujet, la Métropole du Grand Paris a demandé à l’agence ChartierDalix d’édifier un grand pavillon circulaire ouvert à tout vent, partiellement abrité par un toit cintré qui évoque la tôle ondulée [voir ill.]. L’intérêt de l’édifice réside dans le mur porteur circulaire en pierre sèche qui, ainsi assemblé, permet à la faune et la flore d’y prospérer. Idéalement situé dans la perspective du château de Versailles, c’est le site le plus « instragrammable » de la Biennale.

Sans doute inspirées par l’ambiance du Potager du roi, l’ENSP et l’équipe emmenée par Gilles Clément ont voulu témoigner de manière très (trop) intellectuelle et philosophique des multiples expériences citadines où des habitants se sont débarrassés du bitume pour faire revenir la nature. On est ici au cœur du propos de la Biennale qui se distingue des autres manifestations d’architecture par sa volonté d’intégrer la dimension paysagère à travers le recours aux matériaux durables et la place laissée à la nature. C’est aussi ici que se mesure avec le plus d’intensité la difficulté de traduire dans une exposition grand public des réalités pourtant si familières. L’architecture et l’urbanisme se prêtent difficilement à l’art de la représentation. Rien ne vaut la visite d’un quartier pour se rendre compte réellement de l’habitabilité et du caractère esthétique d’un ensemble d’immeubles.

C’est précisément l’ambition du quartier de Gally en bordure du domaine du château, sur un ancien terrain militaire de 20 hectares. Sauf qu’il n’y a pour l’instant qu’un immense champ et un bâtiment militaire rescapé : à l’intérieur est expliqué le futur de ce nouveau quartier qui laissera une très large place à la nature et accueillera les épreuves d’équitation des JO de 2024. Le paysagiste Michel Desvigne, qui participe activement au projet, en profite pour exposer ses divers projets de réaménagement à l’échelle d’un territoire (le bassin minier autour de Lens ou la lisière du campus de l’université Paris-Saclay).

Conscients que le chemin pour tirer pleinement parti de la Biennale est raide, les organisateurs n’ont pas lésiné sur les brochures en papier pour expliquer le propos des expositions. Un copieux programme de conférences vient également compléter la médiation. À noter que François de Mazières tient à ce que tout soit gratuit, ce qui est rendu possible par l’aide de la Région. S’il n’y a pas de nouvelles catastrophes planétaires, la prochaine Biennale devrait se dérouler en 2024, toujours à Versailles, ville décidément laboratoire d’une architecture durable et paysagère.

BAP ! Biennale d’architecture et de paysage, « Terre et villes »,
jusqu’au 13 juillet, divers lieux dans Versailles, bap-idf.com

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°591 du 10 juin 2022, avec le titre suivant : La très sérieuse biennale d’architecture et de paysage de Versailles

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