La Normandie voyage en terres impressionnistes

Par Bertrand Dumas · L'ŒIL

Le 25 juin 2013 - 1734 mots

Le second Festival Normandie impressionniste est l’occasion estivale de parcourir la région jusqu’à la côte normande pour partir à la découverte des lieux de l’impressionnisme.

1- Giverny : l’antichambre de l’impressionnisme
« La chambre de Monet, Fondation Claude Monet.»
Première escale dans la maison de Monet, temple de l’impressionnisme depuis que le peintre y installa son jardin-atelier entre 1883 et 1926. Celle-ci rénove progressivement ses espaces intérieurs grâce au mécénat actif de la Versailles Foundation. Après la restauration du « premier atelier » en 2011, c’est au tour de la chambre de l’artiste de faire l’objet cette année d’un réaménagement respectueux. Faute de photographies d’époque, le décorateur Hubert Le Gall s’est appuyé sur des témoignages écrits, dont le journal de Julie Manet, pour tenter de se rapprocher au plus près de l’état originel de la pièce intime où Monet conservait sa collection de peintures. Les toiles de Cézanne, Renoir ou Morisot font leur retour, mais sous la forme d’habiles fac-similés, les originaux ayant été depuis longtemps dispersés.

2- Rouen : les miroirs de l’eau
« Éblouissants reflets : 100 chefs-d’œuvre impressionnistes »
Étape incontournable. Le Musée des beaux-arts de la ville de Rouen consacre une exposition-fleuve au thème du reflet dans l’eau, motif aux origines de la peinture impressionniste depuis le fameux Impression, soleil levant. Si la toile de Monet n’est pas convoquée, plus de cent autres chefs-d’œuvre peints, empruntés aux musées du monde entier, ont fait le chemin jusqu’en Haute-Normandie.
Reflets d’arbres, de ponts, de voiles, reflets du ciel et des nuages se confondent avec l’histoire constitutive de l’impressionnisme qui érigea en dogme la peinture de plein air. Le phénomène optique du reflet offrait aux regards des impressionnistes mille scintillements chromatiques et une image inversée d’eux-mêmes, et du monde en mutation qu’ils contemplaient. Ils firent des vibrations de l’eau la métaphore picturale d’une société en mouvement où la photographie paysagère du XIXe siècle, bien illustrée dans l’exposition, tenta de fixer la vitesse. Paradigme de cette fascination pour l’eau, les bateaux-ateliers dont le prototype revient à Charles François Daubigny, qui chercha, dès 1857, à s’immerger dans le motif de son tableau.

3- Fécamp : le Prins des pastellistes
« Pierre Prins, un pastelliste impressionniste »
À Fécamp, sur la route du Havre, on célèbre le pastel impressionniste. Ici, point de Degas ou de Lautrec qui hissèrent pourtant la technique à sa plus haute expression, mais une trentaine de pastels de Pierre Prins (1838-1913), le moins célèbre des pastellistes de l’ère impressionniste. Une bizarrerie qui tourne à l’évidence devant les nombreuses vues attachantes de Fécamp que réalise l’artiste parisien après 1890. Également habile dessinateur, Prins se voit confier par Manet la traduction d’une de ses compositions. Le géant de l’Olympia appréciait le « nain » de l’impressionnisme dont la femme musicienne, Fanny Claus, figure à côté de Berthe Morisot dans le célèbre Balcon du Musée d’Orsay. Une bonne surprise ce petit Prins, dont le mérite de la redécouverte revient au Musée des terre-neuvas. 

4- Le Havre : l’impressionnisme à quai
« Pissarro dans les ports : Rouen, Dieppe, Le Havre »
Les ports industriels font l’objet d’une première exposition thématique au Musée André-Malraux. Le sujet s’imposait d’autant plus qu’il est lié à la genèse de l’impressionnisme. Boudin avait ouvert la voie à Monet quand ce dernier peignit la plus célèbre des vues du port du Havre, Impression, soleil levant, qui donna son nom au mouvement. Une large section de l’exposition est donc consacrée à ce port industriel qui, au tournant du siècle, est en pleins travaux d’agrandissement. De nombreux peintres se rendent alors au Havre pour voir, en temps réel, l’avancement du chantier. Le premier d’entre eux, Camille Pissarro, peint de la chambre d’hôtel qu’il loue à l’été 1903 l’activité frénétique du port qui s’offre en spectacle sous ses fenêtres. De son perchoir, Pissarro réalise une vingtaine de tableaux où s’agitent les grues, les marins et les dockers qui travaillent par tous les temps. Le port au soleil, dans la brume ou sous la pluie devient son motif exclusif, ce dont témoigne la série de tableaux regroupés ici pour la première fois. Des photographies d’époque et des peintures de Dufy, Marquet et Friesz complètent, avec bonheur, ce panorama industriel qui comprend aussi des vues de Rouen et de Dieppe.

5- Honfleur : les sirènes de l’impressionnisme
« La femme et la mer »
Où sont les femmes ? À Honfleur évidemment, depuis que Boudin en immortalisa l’élégance dans ses tableaux de plage. Son musée était donc tout désigné pour accueillir l’exposition « La femme et la mer », qui explore les mutations qu’opère le XIXe siècle sur la représentation picturale de cette combinaison. Entre 1850 et 1920, se produit un choc de cultures qui voit s’opposer les garants de la tradition académique aux peintres conquis par le réalisme de Courbet. Alors que les premiers continuent de peindre des vénus immortelles, les seconds peignent les femmes contemporaines, qu’elles soient coquettes ou travailleuses. Ainsi, dans les Salons de peinture voisinent les portraits d’élégantes que la mode des bains de mer attire dans les stations balnéaires et ceux des pêcheuses à la crevette ou des ouvrières en conserverie, dont le quotidien difficile est mis en scène dans de poignantes compositions naturalistes.
À la fin du siècle, une troisième voie se dégage avec le néo-impressionnisme et le symbolisme qui réconcilient la mythologie avec le réalisme, ainsi qu’en témoigne le Nu sublime de la femme du peintre australien John Peter Russell, le chef-d’œuvre bleu marine de cette exposition. 

6- Trouville-Sur-Mer : flash sur une époque
« Impressions photographiques »
En 1863, les premiers touristes arrivent en gare de Trouville. Très vite, les passagers en provenance de la gare Saint-Lazare vont remplacer les pêcheurs du vieux port. Celui-ci se transforme, sous le Second Empire, en modèle de station balnéaire, au départ réservée à une riche clientèle. Dans son sillage, des photographes professionnels ou amateurs fixent la vie à la mer des aristocrates qui partagent leurs loisirs entre le casino, la cure et la plage. Un parfum de fête enivre leurs clichés qui dressent le portrait mondain de pratiques balnéaires révolues où la mode vestimentaire n’est pas encore au Bikini. Pour la première fois, le fonds photographique de la Villa Montebello est présenté au public, qui profitera du parc et de son point de vue exceptionnel sur la baie de la Seine.

7- Caen : peinture, loisir et volupté
 « Un été au bord de l’eau : loisirs et impressionnisme »
Arrivé à Caen, rendez-vous au Musée des beaux-arts où impressionnisme rime avec loisirs. L’exposition, l’une des plus réussies du festival, raconte la conquête des plages et des bords de rivière par les peintres en villégiature. Seuls ou en famille, par la route ou le rail, ils sillonnent la France à la recherche des plus beaux points d’eau où poser leurs pinceaux. Monet nous emmène à Argenteuil voir les régates sur le fleuve ; Seurat, à Asnières, piquer une tête avec les baigneurs ; Mary Cassatt, en Normandie, faire des pâtés de sable avec les enfants sur la plage.
On peut également suivre Jacques-Émile Blanche, à Dieppe, pour pique-niquer sur les galets. Les peintres étrangers sont aussi de la fête, avec l’Espagnol Joaquín Sorolla, à Biarritz, ou bien le Danois Willumsen, en Bretagne. Dans leurs tableaux, on nage, on navigue, on flâne au soleil où on se repose à l’ombre d’un saule, comme ces deux femmes endormies dans une barque de l’Américain J. S. Sargent. Quittons la berge à pas feutrés pour ne pas les réveiller.

8- Saint-Lô : les impressionnistes abstraits
« De l’impressionnisme à l’abstraction : une immersion dans la peinture »
Le Musée des beaux-arts de Saint-Lô vous invite à une expérience étonnante : une immersion dans la peinture. L’eau est encore ici au cœur de l’exposition consacrée à la peinture abstraite d’après-guerre et à ses liens supposés avec l’impressionnisme. L’élément liquide apporte la démonstration de cette filiation, sa propriété étant de diffracter les rayons du soleil qui dissolvent les formes, comme dans le Ciel orageux d’Albert Lebourg ou Monte-Carlo vu de Roquebrune de Monet. Ces deux toiles impressionnistes sont confrontées, parmi d’autres, aux grands formats d’Olivier Debré, d’Alfred Manessier ou de Joan Mitchell. Cette dernière, dans une peinture de 1979, parlait du « sentiment des choses » quand elle évoquait sa manière d’observer la nature. Une sensation subjective partagée par Monet puis les néo-impressionnistes quand, bien avant les abstraits, ils cherchaient à traduire les éléments impalpables tels que les reflets, la brume ou le vent. Un demi-siècle plus tard, ils restaient dans l’air du temps.

9- Granville : Maurice Denis, le baptême de l’eau
« Maurice Denis, au fil de l’eau »
Dernière étape de notre itinéraire en Normandie, le Musée Richard-Anacréon de Granville. Maurice Denis, l’enfant du pays, y est à l’honneur à travers une sélection d’œuvres où l’eau sert de fil conducteur. Omniprésente, elle permet de porter sur son travail un regard rétrospectif. La part religieuse est largement évoquée, car elle est, chez l’artiste chrétien, la source de nombreuses créations, tant dans les domaines de la peinture, de l’illustration que du décor. L’élément naturel prend, ici, une valeur symbolique qui, par ailleurs, est peu abordée dans les autres expositions du festival. La manifestation de Granville met aussi l’accent sur les arts décoratifs, où Denis fut aussi très inspiré, comme le montre ce projet de papier peint où le traitement ornemental des vagues trahit l’influence du Japon chez le peintre normand

Infos pratiques

Giverny, Maison de Claude Monet, Fondation Claude Monet, jusqu’au 1er novembre 2013, www.fondation-monet.com

Rouen, « Éblouissants reflets : 100 chefs-d’œuvre impressionnistes », Musée des beaux-arts de Rouen, jusqu’au 30 septembre 2013, www.eblouissantsreflets.fr

Fécamp, « Pierre Prins, un pastelliste impressionniste », Musée des terre-neuvas, Fécamp, jusqu’au 1er septembre 2013, www.musees-haute-normandie.fr

Le Havre, « Pissarro dans les ports : Rouen, Dieppe, Le Havre », Musée d’art moderne André-Malraux, Le Havre, jusqu’au 29 septembre 2013, www.muma-lehavre.fr

Honfleur « La femme et la mer », Musée Eugène-Boudin, Honfleur, jusqu’au 30 septembre 2013, www.musees-honfleur.fr

Trouville, « Impressions photographiques », Musée Villa Montebello, Trouville-sur-Mer, jusqu’au 29 septembre 2013, www.normandie-impressionniste.fr

Caen, « Un été au bord de l’eau : loisirs et impressionnisme », Musée des beaux-arts, Caen, jusqu’au 29 septembre 2013, www.mba.caen.fr

Saint-Lô, « De l’impressionnisme à l’abstraction : une immersion dans la peinture », Musée des beaux-arts de Saint-Lô, du 26 juin au 29 septembre 2013, www.normandie-impressionniste.fr

Granville, « Maurice Denis, au fil de l’eau », Musée d’art moderne Richard-Anacréon, Granville, jusqu’au 22 septembre 2013, www.normandie-impressionniste.fr

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°659 du 1 juillet 2013, avec le titre suivant : La Normandie voyage en terres impressionnistes

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