PARIS
Le Musée du Louvre raconte la brève aventure des rois nubiens qui ont conquis l’Égypte au VIIIe siècle avant J.-C. : un morceau d’histoire présenté comme une épopée, servi par une belle exploitation des espaces du Hall Napoléon.
Paris. Moins d’un siècle – à peine soixante ans –, soit une goutte d’eau dans les 3 500 ans d’histoire que recouvre l’Égypte antique : l’aventure des rois de Napata est presque un détail de la frise chronologique égyptienne. Courte, la conquête de la Basse et Haute-Égypte au VIIIe siècle avant notre ère par ces souverains venus du royaume de Koush (actuel Soudan) représente pourtant une charnière, à l’issue d’une période de flottement qui aura duré quatre siècles, et que l’on appelle Troisième Période intermédiaire (-1070 / -664). Pour Vincent Rondot, directeur des antiquités égyptiennes et commissaire de l’exposition, c’est aussi une histoire qui mérite d’être racontée, un récit transmis dès l’époque hellénistique, jusqu’à l’opéra Aïda de Giuseppe Verdi au XIXe siècle, et dont le Musée du Louvre livre la dernière version dans l’exposition « Pharaons des deux terres, l’épopée africaine des rois de Napata », en s’appuyant sur les campagnes de fouilles menées par le musée au Soudan depuis une vingtaine d’années.
Pour raconter ce que le Louvre présente comme une « épopée », le parcours utilise au mieux les espaces contraints du Hall Napoléon. Son entrée n’accueille plus le kiosque de la Réunion des musées nationaux-Grand Palais, mais devient partie intégrante de l’espace d’exposition, formant une sorte de sas d’immersion dans le sujet. Le visiteur y rencontre l’un des personnages principaux de ce récit, le souverain Piânkhy, roi de Napata (alors capitale du royaume de Koush). Une reconstitution en impression 3D d’une statue du souverain ouvre le parcours, accompagné de la stèle dite des Victoires de Piânkhy, source textuelle majeure pour cette conquête. Une carte très épurée égrène quelques noms, Égypte, Koush, Napata, Thèbes, pour situer le drame qui va se nouer le long de la vallée du Nil.
La vision que nous avons de l’Égypte, un empire unifié autour d’un souverain unique, est bien loin de la situation politique à l’aube du règne des « pharaons noirs ». Le delta du Nil est divisé en une constellation de roitelets, menant des luttes territoriales incessantes. Au sud de la troisième cataracte du Nil, le royaume de Koush est sorti, il y a quelques siècles, d’une longue période de domination égyptienne : le peuple tributaire a adopté les coutumes du suzerain, et au VIIIe siècle avant J.-C., Nubiens et Égyptiens partagent la même religion. Un facteur déclencheur de la conquête menée par Piânkhy selon Vincent Rondot, qui décrit l’opération comme « théologique ».
Évident pour l’égyptologue, le sous-texte religieux de ces événements peut paraître mystérieux pour le néophyte. Tout au long de l’exposition, un effort est ainsi mené pour rendre palpable au grand public les « images mentales » qui habitent les contemporains de Piânkhy, comme les spécialistes de l’histoire égyptienne. L’iconographie fragmentaire de certains fac-similés est ainsi reconstituée en une image complète, où tout un chacun peut lire la figure d’Amon, dieu principal du panthéon partagé par les peuples d’Égypte et de Koush, sous sa forme de bélier, spécifiquement koushite.
Cette forme nubienne du dieu partage son culte avec l’Amon de Thèbes, ville d’apparition de la divinité, et centre théologique de la vallée du Nil. Après la présentation des villes saintes de Koush (Napata, et son sanctuaire du Gebel Barkal, Sanam, Kawa…) et de l’acculturation complète des cultes égyptiens dans la région, le parcours remonte le cours du Nil et trois cataractes pour emmener le visiteur à Thèbes. La cité est un enjeu primordial de la conquête de Piânkhy, où il installera, selon la tradition égyptienne, sa fille aînée Chépénoupet comme divine adoratrice d’Amon.
Pour voyager de la Nubie à la Haute-Égypte, le couloir qui scinde le parcours en deux est utilisé pour développer un excursus qui éclaire l’art complexe de la chronologie en égyptologie : le décompte des années repartant de zéro à chaque nouveau règne, il faut croiser les sources pour obtenir un continuum historique. Dans ce passage, sont présentées les stèles du Sérapeum détaillant les naissances et les morts des taureaux sacrés du dieu Apis. Chevauchant les règnes, les courtes vies des bovidés permettent d’harmoniser la chronologie, et notamment celle de la XXVe dynastie, celle des rois de Napata.
À l’image de ce couloir chronologique, le parcours prend le temps d’approfondir et d’expliquer : c’est aussi l’avantage d’explorer un sujet aussi resserré dans le temps. Néanmoins cette thématique qui ne s’étale que sur quatre règnes nécessite de nombreux prêts pour être illustrée : le Louvre accueille des œuvres du British Museum, de Copenhague, de Berlin… Toujours dans un souci de lisibilité, l’éclairage de ces trésors fait l’objet d’un travail très fin, utilisant des lumières rasantes pour souligner le relief des inscriptions, où des focus ponctuels qui mettent en avant un détail saillant. Esthétique, et instructif.
Quelques objets archéologiques incontournables sur le sujet manquent à l’appel : les statues de Doukki Gel découvertes en 2003, abritées sur place dans un musée de site, n’ont pu faire le trajet depuis le Soudan. Détruites par l’expédition punitive du pharaon Psammétique II, à l’issue de la courte dynastie des pharaons koushites, ces statues ont été remontées par les archéologues. Le Louvre a choisi de présenter une version reconstituée, avec dorures et parements, de ces statues royales qui condensent l’iconographie koushite et la référence au style Ancien Empire, dans les pas duquel s’inscrivent les souverains nubiens, grâce à une impression 3D en quartz : encore une fois, il s’agit d’entrouvrir une porte sur les « images mentales » que les archéologues se forment à la vue des vestiges… et de rendre vie à cette histoire, « qui n’a de cesse d’être racontée », comme le formule Vincent Rondot. Le commissaire présente d’ailleurs dans l’épilogue de cette exposition la prochaine version de l’épopée : un film animé de Michel Ocelot, qui ajoute un cinquième pharaon imaginaire à la XXVe dynastie, et qui sortira en salles à l’automne prochain.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°590 du 27 mai 2022, avec le titre suivant : La courte épopée des pharaons de Napata