SÈVRES
S’inspirant depuis longtemps de la nature dans ses formes et son décor, la céramique n’est pas qu’un art du passé. Des artistes et chercheurs contemporains travaillent dans cette veine.
Sèvres (Hauts-de-Seine). Présentée au Musée national Adrien-Dubouché à Limoges en 2019, l’exposition est considérablement augmentée à Sèvres qui dispose d’un espace plus grand. Les commissaires, Judith Cernogora et Charlotte Vignon, ont puisé dans les 300 000 pièces qui y sont conservées pour construire un parcours éblouissant sur la relation de la céramique avec le vivant à travers près de 350 œuvres, de la Renaissance à la technologie contemporaine de pointe. Une sculpture, Nuria… L’épigénétique du process (2022), a été réalisée par Nadège Mouyssinat pour l’occasion.
Le point de départ est Bernard Palissy créant au XVIe siècle certaines de ses œuvres à partir de moulages d’animaux. D’autres potiers ont adopté ce naturalisme et les objets où se mêlent lézards, grenouilles, minéraux et végétaux montrent le degré de perfection auquel cet art est parvenu. Le Surtout (1845) et le Pot à tabac (milieu du XIXe siècle) de Charles Jean Avisseau en sont des exemples. Des artistes contemporains leur rendent hommage : c’est le cas de Christine Viennet avec Un jardin si délectable (2006).
Au XVIIIe siècle, le décor s’inspire très largement du monde vivant. Dans les années 1730 naissent à la fabrique de Meissen (Saxe) de grandes sculptures animalières en porcelaine dure émaillée dont Sèvres possède six exemplaires. Cinq d’entre eux forment un imposant ensemble auquel répondent deux Panthères noires (1959 et 1960) et un Ours polaire en marche (1959) de Yatsui Kôji. À Meissen comme en France, les artistes s’inspirent des animaux des ménageries mais aussi de peintures et gravures. C’est le cas pour la sculpture Chien dit « de Bologne » (vers 1733, [voir ill.]), un modèle de l’Allemand Johann Gottlieb Kirchner, et pour l’Écuelle nouvelle forme et son plateau (1780) d’Étienne Evans, un ensemble décoré d’oiseaux d’après les estampes de François Nicolas Martinet pour l’Histoire naturelle de Buffon. À l’époque, fruits et légumes en trompe-l’œil décorent les tables, un travail virtuose de l’émail repris par des artistes contemporains tel Hans Hedberg dont la drôle de Pomme (vers 1992) mesure près de un mètre de haut.
Du style rocaille à l’Art nouveau se déploient les « Imaginaires organiques », titre d’une salle où voisinent des dizaines d’objets d’un raffinement extrême comme la Saucière « Duplessis » (1758), dont la forme évoque un tourbillon aquatique orné d’une branche de corail, ou le Vase « à la grenade éclatée » (vers 1884-1889) d’Émile Gallé dans lequel le fruit, surmonté d’une scène de chasse, est posé sur un socle évoquant un étang avec son peuple de grenouilles…
Si l’art contemporain peut reprendre ces thèmes animaliers et végétaux, il s’intéresse plutôt au corps humain : Pascal Convert produit des Vases anthropomorphes (1993-1994), Carole Deltenre exécute des variations sur des moulages de sexes féminins (série de broches Nymphes, 2008-2011) et Little Bloom (2019) de Farida Le Suavé mêle des morceaux anatomiques. Ces artistes sont rejoints dans leur inspiration par les chercheurs qui travaillent sur des prothèses en biocéramique développées à Limoges, présentées en fin de parcours et de manière plus détaillée dans le catalogue.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°603 du 20 janvier 2023, avec le titre suivant : La céramique, cet art vivant