Livre

RENAISSANCE

À la BNF, le livre humaniste et ses modèles

Par Sindbad Hammache · Le Journal des Arts

Le 13 mars 2024 - 806 mots

L’exposition « L’invention de la Renaissance » fait l’étalage des ouvrages de la Renaissance humaniste conservés par l’institution. Le parcours encourage une approche matérielle de la culture du livre en le confrontant à d’autres créations.

Paris. Du Studiolo à la bibliothèque princière, du refuge solitaire de l’humaniste au lieu d’expression publique de sa magnificence, le parcours de l’exposition proposée par la Bibliothèque nationale de France - Richelieu (BNF) ancre son propos dans des lieux qui ont permis ce voyage dans la culture de la Renaissance humaniste. Le sujet pourrait être particulièrement abstrait et s’envoler vers les sphères platoniciennes, laissant la plupart des visiteurs sur le côté. En prenant soin de situer, d’incarner et de démontrer par l’objet, les commissaires de l’exposition scénarisent ce moment de l’histoire européenne aussi déterminant que complexe grâce au fonds de grande qualité de la BNF.

Les livres et les objets

Véhicule de la pensée humaniste, le livre est le sujet central de l’exposition. La galerie Mansart est ainsi occupée en son centre de longues vitrines remplies d’ouvrages. La scénographie – signé par Pascal Rodriguez – joue ici la carte de la sérialité, en déployant de manière régulière les ouvrages rares sortis des réserves de la BNF. Quasi monochrome d’une salle à l’autre, le parcours peut présenter un effet tunnel qui est cependant cassé par les cimaises aux portes biseautées séquençant la galerie. Cette continuité sert le discours scientifique de l’exposition, qui présente cette pensée humaniste comme une infusion progressive, qui se nourrit de la référence antique bien sûr, mais aussi de la philosophie catholique comme du savoir-faire monastique.

Ce parti pris est ici justifié par les ouvrages présentés. Où que le visiteur pose les yeux, la qualité des volumes choisis mérite un examen minutieux. Sobriété, mais aussi simplicité des volumes sont à comprendre comme une forme d’humilité face à ces trésors rarement montrés, et qui se suffisent à eux-mêmes. Sur les murs sont installées des œuvres en deux dimensions et quelques sculptures, comme deux satyres en bronze venus du Louvre. Le choix des œuvres en deux dimensions renvoie aux pages des livres.

Le visiteur est invité à faire des allers-retours entre les différentes cultures matérielles qui sont le ferment de l’humanisme. Le livre se nourrit de la médaille, de l’architecture, de la peinture. Une petite vitrine est particulièrement représentative de ces rapprochements, présentant une page de l’édition de La Vie des douze César de Suétone enluminé par Gaspare da Padova [voir ill.], à côté de pièces romaines reproduites par l’enlumineur. Il en est de même de la vitrine des médailles de Pisanello, accompagnées des dessins préparatoires du portraitiste, et de leur adaptation dans les enluminures d’ouvrages.

Le parcours a aussi ses passages imposés. Ainsi de la grande partie consacrée à Pétrarque dont la BNF conserve un bon tiers de sa bibliothèque, des volumes annotés par le poète (comme une édition de Tite-Live) ou offerts par l’un de ses prestigieux contemporains, à l’image d’une grande édition de Saint-Augustin, cadeau de Boccace. On y découvre même des livres écrits en grec, de simples objets de dévotion pour Pétrarque qui ne lisait pas la langue. Cette incise biographique et chronologique déploie ainsi des morceaux d’histoires émouvants et très incarnés, mais tord le cheminement thématique qui prévaut partout ailleurs.

Des travailleurs du livre

Une salle déploie un discours passionnant sur le métier d’humaniste, invitant le visiteur dans une sorte de laboratoire de l’élaboration du livre. Les ouvrages sont classés selon les diverses opérations que l’homme de la Renaissance pratiquait sur les textes anciens : recherche de manuscrits, traduction, copie, diffusion, élaboration d’ouvrages bilingues, trilingues, ou plus… Cette séquence a le mérite de sortir les humanistes de la quiétude dans laquelle ils aiment se présenter, pour les dépeindre comme des travailleurs du livre. L’approche matérielle est également soulignée par la présentation de plusieurs innovations formelles : celle du décor à bianchi giari (vignes blanches) qui colonise les décors enluminés, ou le retour de la minuscule caroline préférée à l’écriture gothique.

Une autre séquence est consacrée à la figure de l’homme, remis au centre de la pensée humaniste. Le parcours fait là aussi le choix de ne pas se perdre dans des considérations théoriques, mais de plutôt présenter les conséquences de cette pensée sur les productions artistiques. Dans l’avant-dernière salle, les rapprochements entre le livre et les autres productions deviennent plus évidents encore, par la confrontation de formules plastiques très identifiables comme le portrait en profil.

Sans trop en faire, la galerie Mansart offre un parcours intelligible et visuellement éblouissant si l’on prend la peine de se pencher sur les vitrines. On pourra regretter que l’exposition n’apporte pas d’innovation quant à la mise en scène du livre, un défi, il est vrai, difficile à relever – entre conditions de conservation strictes et réticence des visiteurs – lorsqu’on ne dispose pas de collections aussi exceptionnelles que celle de la BNF.

L’invention de la Renaissance, l’humaniste, le prince et l’artiste,
jusqu’au 16 juin, Bibliothèque nationale de France – Richelieu, Galerie Mansart, 5, rue Vivienne, 75002 Paris.

Thématiques

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°628 du 1 mars 2024, avec le titre suivant : À la BNF, le livre humaniste et ses modèles

Tous les articles dans Expositions

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque