PARIS
Des deux composantes de sa nature, la sensitive et l’indienne, Gauguin disait que seule celle-ci restait vivace ; aussi rêva-t-il de lui greffer une poétique nouvelle.
Gasiorowski, pour sa part, développa le mythe de Kiga, incarnation féminine de « Peinture » sous les traits d’une Indienne, et Gérard Garouste, pour la sienne, plaça d’emblée la question de la création sous la tutelle d’un couple culte, « le classique et l’indien ». Récurrente à l’esprit de nombreux artistes, la figure de l’Indien, sinon la cause indienne elle-même, est au cœur de la démarche artistique de Jimmie Durham.
Né en 1940 à Nevada Country, dans l’Arkansas, d’origine Cherokee, Jimmie Durham avait plus qu’un autre toutes les raisons de s’intéresser à la question indienne. C’est ce qu’il a fait de 1973 à 1980, prenant parti pour la défense des Indiens au comité central de l’American Indian Movement. Mais, dès lors que ses préoccupations artistiques l’emportèrent, il prit très vite conscience de l’inéluctabilité de la séparation, refusant de se définir comme un artiste indien et soucieux d’inscrire son travail dans le postmodernisme.
Polymorphe, son œuvre reste puissamment adossée à une pensée politique et à un travail sur « la mémoire et la perte, l’architecture et son contraire, la matière et l’espace ». Elle se veut un commentaire critique des idéologies qui fondent nos sociétés et des mécanismes qui les règlent. Que ce soit sur le plan d’une organisation économique, écologique ou sociale. Ses sculptures, installations, peintures, dessins, performances, photos et vidéos sont autant d’actes indépendants qui visent chaque fois à souligner telle ou telle situation au regard des travers et des errances d’un monde débridé.
Après avoir utilisé aussi bien des masques, des peaux de bête ou des squelettes et nombre de rebuts de la société de consommation pour recréer des icônes symboliques de la société de consommation, Durham s’est installé en Europe, à Berlin, au milieu des années 1990. Une Europe qu’il appréhende dans une extension désignée sous le nom d’Eurasie, emprunté à Beuys. Depuis lors, il y mène une réflexion sur le nomadisme, la circulation et les flux. Proche de celui de l’ethnologue, le regard qu’il porte sur le monde rejoint l’attitude de nombreux artistes contemporains soucieux du devenir de notre condition humaine.
« Jimmie Durham. Pierres rejetées… », musée d’Art moderne de la Ville de Paris, 11, avenue du Président-Wilson, Paris, tél. 01 53 67 40 00, www.mam.paris.fr, jusqu’au 12 avril 2009.
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°611 du 1 mars 2009, avec le titre suivant : Jimmie Durham - Prendre fait et cause