PARIS
Le Jeu de paume braque ses projecteurs sur l’un des pionniers du film animalier, auteur d’une œuvre à la fois rigoureuse et ouverte au merveilleux, mais aussi militante.
Paris.« Vérité de subtilité, voici ce que nous apporte le cinéma dans le domaine de la science : le cinéma est un œil grand ouvert sur la vie, œil plus puissant que le nôtre et qui voit ce que nous ne voyons pas », déclarait la cinéaste Germaine Dulac lors de la conférence sur les « Esthétiques et entraves » du cinéma donnée au Vieux-Colombier en février 1926. Placée en exergue de la rétrospective « Jean Painlevé »(1902-1989) présentée au Jeu de paume, cette phrase illustre le formidable potentiel que représentaient alors les dernières techniques cinématographiques pour découvrir le monde inconnu des végétaux, animaux et minéraux marins, tant pour la communauté scientifique que pour le grand public.
Painlevé a 24 ans et assiste Maurice Parat, naturaliste, biologiste et médecin dans ses recherches. Il déjà réalisé un premier film sur l’octopus et signé un texte dans le premier et unique numéro de la revue Surréalisme, dirigée par l’écrivain Ivan Goll. Les films sur la pieuvre (1927 et 1928) ou sur l’hippocampe (1934) comme les photogrammes font œuvre dès leur diffusion ou publication. Changement d’échelle ou de rythme, plans larges ou au contraire cadrages resserrés, ces derniers étant principalement réalisés à partir de scènes d’aquarium, la narration allie chez Painlevé science, créativité et fascination pour les formes, mouvements et métabolisme de ce monde subjuguant.
Si Jean Painlevé n’a pas été le précurseur que fut Jean Comandon, médecin et premier biologiste français à populariser le cinéma scientifique (dont l’exposition diffuse un incroyable film de 1929 sur la croissance des végétaux), il fut un cinéaste scientifique qui fit évoluer le genre en menant de front une diversité d’activités et d’engagements sociaux et politiques. Aucune exposition, jusqu’à présent, n’avait permis d’en prendre la mesure. Le travail inédit de Pia Viewing dans les archives de Painlevé exhume une œuvre et une vie riches, indissociables de la figure du père, Paul Painlevé (célèbre mathématicien et homme d’État), et d’une famille à la fois affective, scientifique, intellectuelle et artistique que photographies, correspondances, publications ou cahiers de tournage documentent fort bien. S’y découvrent ainsi les actions de Jean Painlevé contre le fascisme ou en faveur de la production et diffusion du film scientifique, et plus largement du cinéma et du documentaire, mais aussi le rôle de Geneviève Hamon, collaboratrice et compagne de Jean Painlevé, et ses créations de pochoirs, bijoux ou tissus imprimés à l’effigie de l’hippocampe.
La large place faite aux films scientifiques (plus de 150 films concernés, sur les 200 réalisés au total par Painlevé en plus de cinquante ans, ainsi qu’aux films d’enseignement ou de vulgarisation qui le rendirent célèbre dès les années 1930, ouvre sur le merveilleux. Car c’est bien du merveilleux et de l’insoupçonné de ce monde aquatique dont il s’agit aussi dans cette rétrospective qui fera date comme son catalogue. Ses films sur les oursins (1928), les caprelles (1930), les photons (1974) ou sur le cycle de vie des Acera (1978) sont d’autres temps forts, les photogrammes ou photographies vintage constituant un florilège d’œuvres tout aussi inoubliables.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°593 du 8 juillet 2022, avec le titre suivant : Jean Painlevé, un cinéaste scientifique engagé