PARIS
Le Musée de l’armée et le château de Chantilly proposent tous deux une exposition sur ces conflits sanglants du XVIe siècle. Deux parcours incarnés qui soulignent la place de l’image dans la propagande des différents camps.
Paris, Chantilly (Oise). Dans les collections du Musée de l’armée, tous les protagonistes des guerres de Religion sont représentés par leur armure. Au Musée Condé du château de Chantilly, les collections du duc d’Aumale recensent les visages de chacun de ces personnages, qu’ils soient membres du « parti huguenot », de la Sainte-Ligue, ou bien loyaux à la monarchie. Associés pour l’occasion, les deux musées proposent des expositions sur le thème des guerres de Religion incarnées par ces figures issues des grandes maisons belligérantes : Coligny, Guise, Bourbon, Valois, Montmorency. À Chantilly comme aux Invalides, c’est aussi à une guerre des images et de la propagande que le visiteur assiste.
Les deux expositions présentent quelques reliques insignes : à Chantilly, un fragment de la cloche qui aurait sonné la Saint-Barthélemy, et, au Musée de l’armée, le mousquet avec lequel Charles IX aurait tiré sur les protestants ce même jour de 1572 ainsi que l’édit de Nantes. Mais au côté de ces objets uniques, ce sont des pièces destinées à une large diffusion qui retiennent l’attention : gravures, libelles – ces petites publications pamphlétaires – sont également les armes de la guerre entre catholiques et protestants. Le conflit puise d’ailleurs son origine dans l’affaire des Placards, lorsque le placardage d’une charge anti-catholique sur les murs des villes françaises, jusqu’au château d’Amboise, radicalise les positions de François Ier à l’égard des protestants.
Dès le début du parcours, le Musée de l’armée rappelle l’attitude très différente des deux partis vis-à-vis des images. Une monstrance eucharistique en cuivre doré et richement ornée est exposée à côté d’un simple verre à pied peint de trois figures civiles portant la citation « Tu mangeras ton pain à la sueur de ton front » : iconoclasme, rejet du culte des saints et du mystère de l’Eucharistie, les principes introduits par le protestantisme ont une influence concrète sur la production plastique. Jusqu’aux plastrons des armures, dont celle d’un gentilhomme espagnol est ornée d’une Vierge à l’Enfant, et celle d’un lansquenet germanique protestant, qui ne croit qu’en « Jésus-Christ seul », d’un Christ en croix.
Le musée des Invalides a pris le parti d’une exposition très riche en informations, avec une mise en perspective généalogique qui présente d’entrée les grandes familles concernées. Le parcours thématique aborde parfois des aspects très pointus de l’histoire, comme l’exercice du gouvernement par les conseillers durant ces temps troublés, mais parvient à garder l’attention en éveil grâce à une scénographie vivante et incarnée. Pour plonger le visiteur dans la violence des conflits, quelques pendus d’une représentation gravée de l’exécution d’Amboise sont reproduits grandeur nature au-dessus d’une porte : glaçant mais efficace.
Afin d’agrémenter ce parcours très érudit, la scénographie mise sur les armures, fil conducteur de l’exposition ; celles-ci permettent une véritable incarnation, ne serait-ce qu’en révélant le gabarit, parfois étonnant, de figures historiques connues d’abord par les textes ou l’image. Pour mettre un visage sur ces armures, il faut ensuite se rendre à Chantilly, où se trouve la collection exhaustive des protagonistes de tous les partis. Immortalisée par François Clouet, cette galerie de portraits dessinés montre là aussi comment la foi change l’image : Renée de Rieux, fille d’honneur de Catherine de Médicis, est vêtue d’une robe au col boutonné jusqu’au menton, alors que dans une première version elle portait une robe décolletée. Un revirement imputable à la nouvelle confession de cette héritière.
Récente acquisition, un portrait d’enfant signé François Quesnel (1543-1619), est également présentée dans le cabinet des dessins du château de Chantilly. Une belle feuille, sur laquelle un détail trahit le contexte conflictuel : le garçon âgé de 4 ou 5 ans porte sur son béret le symbole de la ligue catholique. Même les très jeunes enfants sont donc associés à l’imagerie de ce type de guerre. D’ailleurs, le rôle de ces derniers est attesté dans les violences de la Saint-Barthélemy, ou le supplice de l’amiral de Coligny. L’exposition de Chantilly comprend par ailleurs de nombreuses gravures qui sont autant d’outils de propagande. La plupart sont réalisées en Allemagne ou aux Pays-Bas, pour une diffusion française, mettant en avant le martyre des protestants. Une étonnante planche représentant une procession de la Ligue dépeint une foule au comportement irrationnel et désorganisé, livrant là une piètre image du camp ultra-catholique.
Au-delà de la violence, le parcours des Invalides montre que les guerres de Religion furent un moment politique. Si la première partie s’organisait autour d’une salle consacrée au massacre de la Saint-Barthélemy, la seconde se concentre sur la politique diplomatique et festive menée par Catherine de Médicis. L’image de la reine noire fait ici place à celle d’une régente qui aura tout tenté pour réconcilier les partis, sans succès. Lorsqu’Henri III prend le pouvoir, une propagande royale vise à consolider la Couronne, affaiblie par les conflits. Un costume complet de l’ordre du Saint-Esprit évoque la création de cet ordre destiné à réaffirmer le prestige royal. À Chantilly, on peut suivre l’évolution formelle des portraits du roi, destinés à lui redonner son aura.
Les deux expositions explorent également un pan mal connu de l’histoire, lorsque le conflit s’exporte jusqu’au Nouveau Monde. À Chantilly, un beau portulan appartenant à l’amiral de Coligny montre ainsi l’intérêt de cet influent conseiller de Catherine de Médicis converti au protestantisme pour la colonisation de terres au Brésil et en Floride. Cette France antarctique deviendra un refuge huguenot, avant l’arrivée de très catholiques Espagnols.
Tout au long de ces deux parcours, on est tenté d’imaginer des rapprochements avec notre actualité, faite de fake news et d’images détournées. Le projet du Musée de l’armée était à l’origine plus ample et se proposait de couvrir l’ensemble des conflits religieux. Trop ambitieuse pour les petits espaces d’exposition temporaire, l’idée survit à travers deux beaux prêts sortis de l’Armoire de fer des Archives nationales : l’édit de Fontainebleau, qui révoquera l’édit de Nantes présenté plus tôt, et la loi de 1901 sur la séparation entre l’Église et l’État.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°611 du 12 mai 2023, avec le titre suivant : Guerres de religion et guerre des images