Frac - Photographie

Exposer Pierre Molinier reste encore périlleux

Par Christine Coste · Le Journal des Arts

Le 29 juin 2023 - 630 mots

Le Frac a pris plusieurs précautions pour présenter l’artiste qui a longtemps vécu à Bordeaux.

Bordeaux. Pierre Molinier (1900-1976) a vécu l’essentiel de sa vie à Bordeaux. Dans le cadre des quarante ans des Fonds régionaux d’art contemporain, le Frac Nouvelle-Aquitaine MÉCA lui consacre une exposition d’envergure. La première d’une telle ampleur à Bordeaux. La première que la ville lui a consacrée, « Jeux de Miroirs », ne s’est organisée qu’en 2005, à la Galerie des Beaux-Arts, vingt-neuf ans après sa mort. Les espaces dévolus étaient alors bien plus petits et la sélection des pièces et leur rapprochement avec celles d’artistes contemporains avaient été menés de sorte à ne pas susciter de poursuites judiciaires, eu égard à leur côté subversif. On peut donc dire que l’événement que représente l’actuelle exposition « Pierre Molinier rose saumon » – dans une ville qui est jusqu’à présent plus embarrassée que fière de compter parmi ses artistes de renom un créateur aussi sulfureux – est attendu.

« Dès sa création en 1982 à Bordeaux, le Frac a commencé sa collection par l’acquisition d’une trentaine d’œuvres de l’artiste. L’achat était audacieux », rappelle Claire Jacquet, directrice du Frac depuis 2007. Ces achats n’ont pour autant pas donné lieu à une exposition dans les décennies qui ont suivi. Pas plus que la découverte, en 1990, dans les archives municipales, d’une boîte anonyme contenant des photographies et photomontages donnés par Pierre Molinier dans les années 1960-1970 au conservateur en chef de l’époque, pour le remercier des appels téléphoniques qu’il passait dans son bureau. Certes exposer les images des jeux autoérotiques ou des plaisirs partagés mis en scène par Molinier impose certaines contraintes qui ne sont pas étrangères à cette situation, bien que l’œuvre ait fait depuis quelques années l’objet de différentes expositions dans des musées tels que celui d’Issoudun en 2013.

Prudent, le Frac Nouvelle Aquitaine MÉCA interdit l’exposition aux moins de 18 ans ainsi que la possibilité de photographier les œuvres, afin que les images ne circulent pas sur les réseaux sociaux. Ces précautions ont libéré les choix des commissaires, Claire Jacquet, Marie Canet et Emmanuelle Debur. Une salle au sixième étage du bâtiment, accessible à tous les publics, résume les questions sur le corps et le genre qui prévaut à l’étage inférieur avec des œuvres qui ne heurteront personne, même si elle ne contient pas toute la richesse du propos sur Pierre Molinier et ses filiations développés dans l’exposition.

Tout sur Pierre Molinier

La relecture approfondie de la vie et de l’itinéraire artistique de l’artiste offre une vision élargie et vivante, embrassant toutes les facettes de son œuvre depuis les premières peintures, tout en mettant en exergue ses filiations avec celles d’artistes modernes ou contemporains comme Hans Bellmer, Claude Cahun, Michel Journiac, Gilles Berquet, Mirka Lugosi ou H.Alix Sanyas. Deux installations ont par ailleurs été créées pour l’exposition, l’une par Hamid Shams, la seconde par Arnaud Labelle-Rojoux.

Cette relecture s’appuie aussi sur le grand nombre d’œuvres rassemblées, tous médiums confondus (peintures, dessins, photographies). La plupart sont issues de prêts privés dont le fameux tableau Grand Combat, proposé par Pierre Molinier lors du 30e Salon des indépendants bordelais en 1951, et qui fit scandale. La scénographie est sobre : pas de lumière tamisée, de tapisseries aux murs ou de peintures sombres comme trop souvent l’œuvre est présenté.

« Il s’agissait de déjouer toute la mythologie que Molinier a construite sur lui et son œuvre, et de dégager le vrai du faux », explique Claire Jacquet. Textes du catalogue, cartels et salle documentaire intégrée dans l’exposition – riche en documents originaux – sont particulièrement instructifs, notamment le plan de l’appartement du 7, rue des Faussets, dressés par sa fille, Françoise Molinier, et reproduit sur les murs par l’architecte, galeriste et collectionneur Alain Oudin, offrant une vision inédite des lieux où l’artiste a vécu et travaillé.

Molinier rose saumon,
jusqu’au 17 septembre, Frac Nouvelle-Aquitaine MÉCA, 5, parvis Corto-Maltese, 33800 Bordeaux.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°614 du 23 juin 2023, avec le titre suivant : Exposer Pierre Molinier reste encore périlleux

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