Art moderne

XXE SIÈCLE

Dufy sous le soleil de Cézanne

Par Élisabeth Santacreu · Le Journal des Arts

Le 5 juillet 2022 - 869 mots

AIX-EN-PROVENCE

L’artiste normand a inventé son style en étudiant l’œuvre du père de la peinture moderne. Il n’en a pas retenu le cubisme, mais une synthèse toute personnelle du dessin et de la couleur.

Raoul Dufy (1877-1953), Port au voilier, hommage à Claude Lorrain, vers 1935, huile sur toile, 89 x 113 cm, Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris, legs de Mme Berthe Reysz en 1975. © Paris Musées / Musée d’Art Moderne
Raoul Dufy (1877-1953), Port au voilier, hommage à Claude Lorrain, vers 1935, huile sur toile, 89 x 113 cm, Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris, legs de Mme Berthe Reysz en 1975.
© Paris Musées / Musée d’Art Moderne

Aix-en-Provence. Le Musée d’art moderne de la ville de Paris possède une collection de cent vingt-trois œuvres de Raoul Dufy (1877-1953) dont La Fée Électricité, cette peinture de 600 m2 réalisée pour le pavillon de l’Électricité et de la Lumière à l’Exposition internationale de 1937. À partir de ce fonds et grâce à quelques autres prêts, Sophie Krebs, responsable des collections du musée, présente une sélection d’environ quatre-vingt-dix œuvres de l’artiste montrant d’abord l’importance pour sa carrière d’un voyage en Provence sur les traces de Paul Cézanne, puis la place prise par la couleur dans la suite de son travail. La Fée Électricité est évoquée en fin de parcours par une animation.

Le décoratif toujours présent

En introduction est présentée La Terrasse sur la plage (1907), une toile fauve qui marque la première période de Raoul Dufy. Puis Café à l’Estaque ou L’Apéritif (1908) montre les premiers indices de la révolution cézannienne dans son œuvre. Les couleurs sont encore fauves, mais les personnages et le décor prennent des formes géométriques car, selon le maître aixois « tout dans la nature se modèle selon le cylindre, la sphère, le cône ». Au côté de Georges Braque qui voyage avec lui en Provence, Dufy, raconte Sophie Krebs, « regarde Cézanne avec application en réduisant la gamme chromatique, en évacuant le ciel dans certains de ses tableaux, ce qui donne une impression d’étouffement, et en géométrisant ses formes. Il récupère aussi au passage la fameuse touche directionnelle pour pouvoir montrer, comme disait Cézanne, “l’air qui passe entre les choses”. » Parfois, l’artiste se contraint à un « cézannisme » radical, par exemple dans Arbres à l’Estaque (1908) mais, souvent, remarque la commissaire, « il a beau géométriser, réduire au maximum, il ne peut pas s’en empêcher : le décoratif revient toujours. » Toute sa vie, ce sera la marque de Dufy.

Simplification des formes, exaltation de la couleur et présence d’éléments décoratifs : jusqu’à la Première Guerre mondiale, le travail de Dufy est proche de celui d’Henri Matisse. Le résultat est souvent éblouissant, comme en témoigne Nature morte au panier et au faisan (vers 1912). Dans l’un de ses chefs-d’œuvre, Le Jardin abandonné (1913), le peintre utilise le noir comme une couleur avec le bleu, le vert, le rouge et le blanc. La présence du dessin dans la toile, qui sera si caractéristique de son travail, s’affirme déjà : à droite de l’œuvre, apparaît une palme colorée d’un aplat de vert qui la déborde. Dufy était très attaché à cette toile de grande taille qu’il n’a cédée qu’en 1937 au Musée d’art moderne de Paris. Une petite salle consacrée à la Provence montre des illustrations réalisées avant la guerre, mais aussi des aquarelles et des toiles de l’après-guerre où apparaît ce traitement de la couleur en aplats. Avec La Jetée-Promenade à Nice (1924-1926), le style de Dufy, fait de dessin, d’éléments décoratifs et d’aplats de couleurs indépendants du dessin, est en place.

La femme et la mer

La suite de l’exposition est un florilège des thèmes chers au peintre, toutes époques confondues. L’ouverture de cette partie, sur les baigneuses, reste encore liée à l’influence de Cézanne : l’incandescente Grande Baigneuse (1914) est un hommage au maître d’Aix et à ses recherches sur le nu dans le paysage. Le thème est décliné par l’artiste sur des vases, des carreaux de céramique, sur papier et, bien entendu, en peinture. Le nu est aussi présent dans les vues d’atelier où les fenêtres prennent une grande place. Les bouquets de fleurs, aujourd’hui moins connus, ont largement participé à la célébrité du peintre après la Première Guerre mondiale. On les trouve dans des aquarelles, des illustrations et dans l’important travail sur les tissus pour la manufacture Bianchini-Férier, absent de l’exposition.

Le bouquet final est constitué de la série « Ports, plages et régates. La mer », l’aspect de l’œuvre du peintre normand aujourd’hui le plus admiré du public. Depuis L’Estacade à Sainte-Adresse (1902), encore impressionniste, on peut suivre les recherches de Dufy : fauvisme avec Les Régates (1907-1908) puis mise en place d’un style propre. « De 1920 jusqu’aux années 1930, raconte Sophie Krebs, on a beaucoup de mal à dater les œuvres. Il travaille de plus en plus par signes : la mer se peuple de petits triangles pour montrer les vaguelettes, etc. Cela devient sommaire, schématique. » Le grand coloriste s’affirme avec Henley, régates aux drapeaux (1932) ou Honfleur, la jetée ou le phare (vers 1935). Port au voilier, hommage à Claude Lorrain (vers 1935, voir ill.) rappelle la fascination pour l’Antiquité qui l’habitait depuis son voyage en Sicile en 1922, ainsi que son admiration pour le peintre du XVIIe siècle dont il s’est plusieurs fois inspiré. Bien que déjà en devenir dans Baigneuse, cargo, voiliers et papillons (vers 1925-1927), le thème des cargos noirs de la fin de la vie de Dufy, que Sophie Krebs avait mis en valeur au Musée d’art moderne André-Malraux (Le Havre) en 2019, n’est malheureusement pas présent. Il aurait sans doute teinté d’ombre la fin d’une exposition toute tournée vers la lumière et la plénitude de la couleur.

Raoul Dufy, l’ivresse de la couleur,
jusqu’au 18 septembre, Hôtel de Caumont - Centre d’art, 3, rue Joseph-Cabassol, 13100 Aix-en-Provence.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°592 du 24 juin 2022, avec le titre suivant : Dufy sous le soleil de Cézanne

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