Le Musée de la mode rend hommage au photographe italien et à son art du portrait.
Paris. « En organisant l’exposition “Paolo Roversi”, le Palais Galliera consacre pour la première fois de son histoire une monographie à un photographe vivant », souligne Miren Arzalluz, directrice du Musée de la mode, lors du vernissage. Pour le photographe italien installé à Paris depuis 1973, c’est aussi une première. Il a certes été exposé par la galerie Camera Obscura, qui le représente en France, par Christian Lacroix aux Rencontres d’Arles en 2008 et au Festival de la mode et de photographie d’Hyères en 2020, mais cette monographie préparée par Sylvie Lécallier, chargée de la collection photographique du Palais Galliera, est la première manifestation que lui consacre une grande institution parisienne.
Paolo Roversi (né en 1947) compte pourtant parmi les plus importants photographes de mode. Le statut de ces derniers est encore mal reconnu, même si la rétrospective « Sarah Moon » au Musée d’art moderne de Paris en 2020, ou celle de Frank Horvat plus récemment au Jeu de paume marquent une évolution. Les acquisitions d’œuvres demeurent timides : le Musée d’art moderne a acquis, il y a trois ans, des portraits de June et Robert Frank par Paolo Roversi, en 2001. Robert Frank est un ami proche de Roversi. Pour Frank, « une bonne photographie est une photographie humaniste qui contient une vision ». Cet aphorisme sied bien aux images réalisées par le photographe italien. Il y a un profond humanisme et une vision particulière dans son approche de la beauté féminine, d’un corps, d’un vêtement ou d’un oiseau, que ce soit pour les magazines de mode ou pour les grands couturiers tels Yohji Yamamoto [voir ill.], Alexander McQueen, Martin Margiela… Chez lui, la beauté a valeur de magie, de mystère et d’enchantement, et le portrait, celle de partage d’émotions.
« Paolo Roversi est avant tout un grand portraitiste », rappelle Sylvie Lécallier. L’exposition du Palais Galliera, concentrée sur la photographie de mode et le nu produite depuis cinquante ans, le montre en 140 œuvres, avec un accrochage qui n’obéit à aucune chronologie. L’exposition donne ainsi à voir plus qu’un style : il rend sensible un univers et un temps suspendu que configurent autant le travail en couleurs que celui en noir et blanc réalisé en studio. L’absence de légendes permettant d’identifier chaque photographie participe de ce flottement – on les retrouve, au besoin, dans le livret distribué à l’entrée. Les textes courts d’introduction et la biographie développée sur un mur au cœur de l’exposition donnent les éléments essentiels à connaître. C’est succinct, mais il s’agit avant tout de regarder, de contempler ce que génère la beauté, la grâce et la lumière, infiniment liées l’une à l’autre chez Paolo Roversi.
D’une salle à une autre, des modèles récurrents, habillés ou nus, se suivent : Guinevere, Stella, Saskia, Audrey, Natalia… Des femmes qu’il n’a jamais considérées comme des mannequins, mais comme des « artistes qui remplissent un espace et inventent un autre temps, interprètent et expriment le monde avec une infinie générosité, répandant leur beauté et leur amour, que je cherche à photographier de la meilleure façon possible », rappelle-t-il dans son échange épistolaire avec le philosophe Emanuele Coccia édité en mars dernier chez Gallimard. Parfois un portrait d’oiseau somptueux rappelle leur présence tout aussi récurrente dans l’œuvre.
On ne trouvera pas l’un des trois portraits de Kate Middleton commandé par la duchesse de Cambridge à Paolo Roversi pour ses 40 ans, ni ses portraits d’acteurs ou d’actrices, ni ses photographies de voyage en Inde ou liées à la sphère privée. Seule mise en exergue, à l’entrée de l’exposition, la première photographie de Paolo Roversi, réalisée à 9 ans, de sa sœur posant pour lui avant de partir au bal, dans une nouvelle robe confectionnée pour l’occasion. « Elle témoigne de l’expérience fondatrice de toute photographie, même de mode, possédant un caractère personnel et émotionnel. Désormais, chaque personne posant devant son objectif pourrait être sa sœur qui vient de passer sa plus belle robe pour partir au bal », explique Sylvie Lécaillier. Une dimension intime qu’exprime le florilège des photographies noir et blanc du studio, d’un objectif photo, d’un châssis, d’une chambre photographique s’intercalant avec un John Galliano, Peter Lindbergh, le chien Madness, les visages de Guinevere, Alix, Lucy… et un autoportrait, le seul que Paolo Roversi ait accepté de montrer. « Toute photographie est un portrait et une autobiographie » rappelait-il lors de sa dernière exposition à la galerie Camera Obscura.
Les livres et les documents d’archives réunis sur une longue table évoquent son travail d’une autre manière. L’importance du Polaroid, du livre et de certaines parutions comme le catalogue pour Cerruti avec Laetitia Firmin-Didot – qui deviendra son épouse –, ou la photographie de la cafetière de Robert Frank offerte par son épouse June, expriment des liens particuliers.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°630 du 29 mars 2024, avec le titre suivant : Dans l’univers de Paolo Roversi