CLERMONT-FERRAND
Exposé au Frac Auvergne, le photographe belge donne une tonalité picturale à son travail de remémoration.
Clermont-Ferrand. Chaque photographie de Dirk Braeckman (né en 1958) est un monde clos, autonome, qui captive et engendre perceptions et sensations. Espaces intérieurs, portraits de femme, paysages de mer ou de montagne : aucune image n’y déroge, tant par son sujet que par son tirage à la matérialité et aux tonalités de gris et de lumière si propres à leur auteur. Les œuvres réalisées spécialement pour l’exposition que lui consacre le Fonds régional d’art contemporain (Frac) Auvergne opèrent de même, le visiteur ne peut les distinguer des photographies plus anciennes, ou même récentes, également présentées. Elles ont toutefois davantage trait aux paysages qu’aux nus ou aux rideaux, thèmes récurrents de l’œuvre, et la couleur s’y immisce parfois.
Les titres donnés à toutes ces images sont composés en général de lettres et de chiffres. Tenter de déchiffrer ce code se révèle un exercice compliqué. Car chez Dirk Braeckman « l’acte photographique ne constitue qu’un premier geste de captation destiné à être archivé, parfois durant des années, avant qu’une image ne soit exhumée, parfois rephotographiée, recadrée ou étalonnée selon une lumière différente », explique Jean-Charles Vergne, directeur du Frac Auvergne.
Noir opaque, flou velouté…
Quoi qu’il en soit, Dirk Braeckman s’est toujours bien gardé de s’étendre sur les motivations de ses photographies. Peu importe le lieu et la date, le pourquoi et le comment. L’essentiel est ailleurs, dans les interactions entre ces images que chaque exposition suscite, interactions à chaque fois différentes. Elles sont multiples au Frac Auvergne, d’une part par le choix des œuvres effectué par le commissaire de l’exposition, d’autre part par la confrontation entre elles, y compris dans une même série, à l’instar de « Dear Deer (Cher Cerf) ». Les deux tirages placés côte à côte et relatifs chacun au même écran noir opaque encadré se distinguent ainsi l’un de l’autre seulement par un léger décadrage, tandis que leur netteté tranche avec le flou velouté du bouquet de fleurs frappé par un éclat de lumière exposé ailleurs.
Dans le monde sensible de Braeckman, une image n’existe que dans un processus de remémoration incertain, comme un souvenir ancien. Certaines renvoient toutefois plus précisément à des atmosphères picturales ou encore à des séquences de films, telle cette scène du baiser entre deux femmes qui évoque une scène de Mulholland Drive (2001) de David Lynch.
Diffusée dans l’exposition, la vidéo Hemony, centrée sur le mouvement oscillatoire d’une cloche, sans le son, peut aussi rappeller quelques scènes de films à suspense. Rien de certain dans cet univers du trouble qui met en scène l’énigme, l’inaccessible et/ou l’absence. La série de portraits de femmes vues à travers leur chevelure couvrant un dos dénudé, qui ouvre l’exposition, non loin de l’image grand format d’un lourd rideau tombant sur une moquette à motif floral, introduit on ne peut mieux le visiteur à ce monde en soi, fabrique à projections mentales.
Jusqu’au 14 mai, Frac Auvergne, 6, rue du Terrail,
63000 Clermont-Ferrand.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°605 du 17 février 2023, avec le titre suivant : Dans le souvenir trouble de Dirk Braeckman