PARIS
Le cinéaste est aussi dessinateur, photographe et sculpteur. Sous le chapiteau de la Villette, un parcours labyrinthique donne à voir son univers fantasmagorique.
Paris. L’univers halluciné de Tim Burton ne pouvait s’offrir d’autre porte d’entrée que la mâchoire béante d’un monstre vert aux crocs acérés. En la traversant, c’est vers une autre créature, plus effrayante encore, que sont guidés les curieux. Recouvrant l’antre de son gosier, un rideau rouge dissimule une première pièce où quatre portes numérotées entourent un buzzer, sur lequel il faut appuyer pour connaître sa future direction. Lorsque le chiffre choisi par le destin s’illumine devant l’une des entrées, le voyage commence. Le grincement de la poignée s’évanouit sur une ambiance sonore inquiétante, mélange de thérémine et de contrebasse. Dans la pénombre, éclairées par des néons et des projections murales, des salles biscornues dignes d’un film expressionniste se succèdent. Dans chaque espace, une, deux, trois voire quatre portes font face au public, désormais seul maître du scénario de sa visite.
Le labyrinthe s’étend sur 23 salles parsemées au sein des 5 000 mètres carrés de l’Espace chapiteaux de la Villette. Le public n’en verra qu’une quinzaine, en fonction du parcours choisi. Selon les organisateurs, 300 chemins alternatifs sont possibles. S’agit-il d’une légende destinée à rendre le lieu encore plus mystérieux ? Nous révélerons seulement que la plupart des portes de certaines pièces mènent en fait… au même endroit. Les petits malins ayant l’idée d’enfreindre les règles et de rebrousser chemin pour vérifier qu’ils n’ont rien manqué se rendront donc vite compte que le gros du spectacle est inévitable.
Comme sur un plateau de tournage, différents décors se relaient, dans une scénographie reflétant la vision gothique de l’artiste. La bande sonore aidant, les atmosphères de ses films les plus connus sont recréées : dans une salle vole délicatement le voile de la défunte mariée des Noces funèbres (2005), dans une autre c’est Edward aux mains d’argent (1990) qui sculpte de ses mains-couteaux un portrait de glace, ailleurs c’est le chat d’Alice au pays des merveilles (2010)qui apparaît et disparaît, projeté aléatoirement sur les murs… D’autres recoins sont consacrés à des créations plus confidentielles – et plus intéressantes.
Le maître du cinéma d’animation est en effet bien plus qu’un réalisateur. Esquisses de créatures clownesques aux membres anormalement longs et désarticulés, portraits à l’aquarelle de mignons animaux de compagnie souriant malgré les poignards plantés dans leurs dos, sans oublier les sculptures d’enfants bizarres et rejetés : l’ensemble forme un étrange portrait de famille. Les proportions surréalistes et les traits tremblants du créateur pourraient faire écho aux croquis de Quentin Blake, si celui-ci avait été un maître de l’horreur au noir sens de l’humour. On en vient presque à regretter que le parcours soit si peu fourni – les quelque 150 œuvres peinant à remplir l’espace des plus grandes salles.
Train-fantôme sans rail, l’expérience est une immersion profondément originale dans l’imaginaire prolifique de Tim Burton. Une exposition anticonformiste, comme celui qui l’a imaginée.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°613 du 9 juin 2023, avec le titre suivant : Dans la tête de Tim Burton