Pour ou contre Dalí ? Bien avant l’œuvre, l’homme divise. Comment se laisser séduire par la complexité du personnage quand celui-ci a défendu le fascisme ? Même si, aujourd’hui, « le temps joue pour lui »…
Salvador Dalí, c’est « trahison sur trahison ». À tout le moins quand il a renié le surréalisme pour s’installer aux États-Unis, dans les années 1940. Voici l’avis de son biographe le plus sérieux, Ian Gibson, qui s’est efforcé de dévoiler les tromperies du Grand Mythomane et des médiocres thuriféraires qu’il enrôlait à son service. Trahison de son action passée et de sa pensée, des idéaux révolutionnaires partagés avec les surréalistes, trahison de ses amis, comme le poète Federico García Lorca ou le cinéaste Luis Buñuel qu’il a renié au moment où il se trouvait dans le besoin, trahison de la vérité aussi.
Lui et son entourage qui était « insupportable »
Salvador Dalí, l’homme qu’André Breton avait surnommé par anagramme Avida Dollars, tant il était obsédé par l’argent. Et qui répondait à sa manière en peignant le billet vert sur ses tableaux. Il a fait mine de se réjouir de l’assassinat de Lorca, abattu par des miliciens fascistes à Grenade en 1936, qui était pourtant son premier amour. Il s’est faussement prétendu l’ami de Picasso, ce qui ne l’empêchait pas de dénoncer ses sympathies communistes aux États-Unis au plus fort du maccarthysme.
Obsédé par la figure du père, il a été fasciné par le charisme sexuel de Hitler, il a fait l’éloge de l’Italie éternelle sous la botte de Mussolini, il s’est rallié à l’Église, à la monarchie espagnole et à la dictature de Franco, il s’est amusé des dernières exécutions de militants basques par le vieux tyran… Il a accepté de décorer des vitrines pour les grands magasins, un pavillon surréaliste pour l’Exposition universelle de New York, qui était une horreur kitsch, de la publicité pour le Polaroïd de Kodak ou les chocolats Lanvin. Il faisait le pitre en permanence, pontifiant à la télévision en discours semi-délirants. Il a poussé la mise en scène de soi jusqu’à mettre en danger sa position d’artiste.
Dalí, l’homme que l’on aime détester ? Jean-Hubert Martin, commissaire de la rétrospective au Centre Pompidou, aime à rappeler le credo d’un créateur engagé comme Robert Filliou : « Je me dis artiste, et ce malgré Dalí »… Historien de l’art moderne, Werner Spies trouve ainsi peu d’excuses à un homme dont « les positions politiques sont inacceptables », un « mystificateur » qui a beaucoup emprunté à des compagnons comme Max Ernst, en abusant de la technique du collage. « Personne n’avait le don de confondre art et gag mieux que Dalí. » Spies se souvient de la dernière rétrospective, ouverte en 1979 à Paris, comme d’un « désastre ». « Il y avait une grève au Centre Pompidou, l’artiste s’est fait insulter… » Lui et, encore pis, son entourage, qui était proprement insupportable, avaient voulu tout contrôler. Le catalogue se contentait de compiler des textes historiques, sans chercher à faire avancer la réflexion sur le personnage et son œuvre.
Il est temps de regarder à nouveau Dalí
Une réhabilitation est-elle envisageable ? « Le temps joue pour lui », assure Jean-Hubert Martin. « Désormais, le procès politique est un peu dépassé, car Dalí est mort depuis plus de vingt ans », juge Catherine Grenier, conservatrice au Centre Pompidou et auteure d’une biographie de l’artiste, estimant qu’il sort d’une longue « période de désaffection ». Pour Jean-Louis Gaillemin, qui a rédigé un ouvrage sur la période 1925-1935 du peintre, c’est l’ensemble du surréalisme qui est à repenser, après avoir été « relégué à l’état de mouvement littéraire, et non artistique ».
« Une exposition Dalí, il y a quelques années, aurait été impensable, pense Catherine Grenier, non seulement à cause de sa personnalité, mais aussi de son approche esthétique. » Il s’est trouvé exclu du récit moderne, en raison de son « style extrêmement vériste, approchant même l’hyperréalisme ». À une époque où « l’abandon de la perspective illusionniste était devenu le dogme de la peinture moderne », enchérit Martin. Or, elle lui était indispensable pour « plonger son spectateur dans un autre monde ».
« La France a adhéré de façon absolue à la radicalité moderniste », reprend Grenier, et ses dieux s’appellent Duchamp et Matisse. « Picasso, Dalí, Picabia, qui a été réhabilité assez récemment, il ne faut pas oublier que ce sont des étrangers. » On se rend compte maintenant que Salvador Dalí était « un personnage très complexe, d’une grande érudition, qui a réussi à créer un art populaire. Il était capable de parler à tous, alors que c’était un être très cérébral. En France, il a été oublié, et il revient maintenant parce que des jeunes artistes se réclament de lui », en suivant la voie ouverte il y a un demi-siècle à New York par des émules comme Andy Warhol.
11 mai 1904 Naissance à Figueres en Espagne.
1920 Intègre l’École des beaux-arts de Madrid.
1929 Rencontre le groupe des surréalistes et Gala à Paris.
1938 Participe à l’Exposition internationale du surréalisme organisée par Breton et Éluard.
1979 Rétrospective Dalí au Centre Pompidou à Paris.
1989 Le peintre décède à Figueres.
Voir la fiche de l'exposition : Dalí
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°650 du 1 octobre 2012, avec le titre suivant : Dalí, ce mystificateur