La Piscine présente le plus grand ensemble jamais réuni en France de sculptures de Chagall, révélant une nouvelle lecture de son travail.
ROUBAIX - Il aura fallu cinq années de travail pour monter « Marc Chagall, L’épaisseur des rêves » à La Piscine. Des premiers tableaux fauvistes avant son arrivée à Paris jusqu’aux collages des années 1960, l’institution roubaisienne propose une exposition aux allures de rétrospective. Mais il ne faut pas s’y tromper : plus qu’une illustration disciplinée, l’événement est une relecture très fine de l’œuvre de Marc Chagall, par le prisme de la mise en volume. Au travers d’œuvres plus ou moins connues, pour la plupart issues des collections de ses descendants, fortement impliqués dans le projet, on redécouvre l’artiste tour à tour peintre, dessinateur, costumier, céramiste, sculpteur, entièrement voué à une seule quête : la représentation du réel.
« Si le médium de la peinture reste fondamental dans son œuvre, le monde doit avoir de l’épaisseur, des formes une réalité, et la question du volume est donc fondamentale », explique Bruno Gaudichon, cocommissaire de l’exposition et directeur de La Piscine. Tout au long du parcours, organisé de manière chronologique autour de grands projets de l’artiste, l’œuvre de Chagall s’expose donc en trois dimensions.
Le relief de Chagall
Dès le Double portrait au verre de vin (1917-1918), chef-d’œuvre du Centre Pompidou, le volume est facetté, décomposé en formes géométriques, auxquelles la couleur vient ajouter de l’épaisseur : Chagall peint déjà le relief. La mise en espace est, dès 1920, au cœur de son travail. Il participe à cette époque au Théâtre de chambre national juif à Moscou. Il dessine des dizaines de projets pour des costumes, des décors, un rideau de scène, et partout les figures yiddish qu’il peint sur toile accèdent à une réalité concrète. Plus tard, exilé à New York pendant la Seconde Guerre mondiale, il conçoit les costumes et les décors du ballet Aleko en 1942. Ce travail est exposé pour la première fois en France. À Roubaix, les costumes, conservés et restaurés de manière exceptionnelle se déploient sur un podium, entourés de gouaches aux couleurs éclatantes. Ces gouaches et ces costumes, exécutés à Mexico où la production du ballet à été déplacée, se parent de représentations hybrides très proches de l’iconographie mexicaine : « Chagall est une éponge, comme tous les grands artistes », insiste Bruno Gaudichon. Pour L’Oiseau de feu, ancienne création des Ballets russes, Chagall réalise en 1945 trois décors, et quatre-vingts costumes sur un livret de Stravinski : ici, la filiation amérindienne transparaît plus que jamais. La section dévolue dans l’exposition aux arts de la scène pourrait à elle seule suffire à renouveler la grille de lecture de l’œuvre de Chagall.
À Roubaix, les arts de la terre et de la pierre viennent ajouter sens à la quête de la troisième dimension. « L’épaisseur des rêves », sous-titre de l’exposition, se réalise ici. La figure christique de l’Autoportrait à la pendule (1947, collection particulière) apparaît sur le vase Crucifixion quelques années plus tard (1952, La Piscine, Roubaix). Un Vase sculpté (1952, coll. part.) déploie le même couple d’amoureux que dans Le nuage nu (1945-1946, coll. part.). Chez Chagall, la céramique, comme chez Pablo Picasso, est une facette primordiale de l’œuvre de l’artiste. De la même manière, la sculpture de Chagall envahit l’espace. Jamais auparavant, autant de pièces sculptées n’avaient été réunies en France. Conçues au moment où Chagall peint le cycle des Message biblique, où les références à l’Ancien et au Nouveau Testament sont récurrentes, elles portent la double empreinte de l’art roman et de Gauguin. Jacob et son échelle, Elie sur son char enflammé, David étreignant Bethsabée : les figures bibliques se succèdent, mais toujours dans un cadre défini. Chagall n’abandonne jamais ce cadre, celui du tableau, de la scène, de la pierre. En confrontant sculptures, peintures et dessins, l’exposition montre la construction esthétique derrière l’éblouissant chromatisme de l’artiste. Dans les grands dessins en noir et blanc, dans les collages qu’il réalise dans les années 1960 et 1970, Chagall s’évertue également à donner corps à ses visions.
Jusqu’au 13 janvier, La Piscine, Musée d’art et d’industrie André Diligent, 23 rue de l’Espérance, 59 100 Roubaix, tél. 03 20 69 23 60, www.roubaix-lapiscine.com, tlj sauf lundi, du mardi au jeudi 11h-18h, vendredi 11h-20h, samedi et dimanche 13h-18h. Catalogue, Ed. Gallimard, 264p., 39 €
Voir la fiche de l'exposition : Marc Chagall. L'épaisseur des rêves
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Chagall en trois dimensions
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Abonnez-vous dès 1 €- Commissariat scientifique : Bruno Gaudichon, conservateur en chef du patrimoine, directeur de la Piscine, Olivier Meslay, directeur adjoint du Dallas Museum of Art, Sylvie Forestier, conservateur général honoraire du patrimoine, Meret Meyer
- Nombre d’œuvres : 217
- Itinérance : février 2013 au Dallas Art Museum, États-Unis
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°378 du 2 novembre 2012, avec le titre suivant : Chagall en trois dimensions