Prêtons à Valentin Vermeersch, le conservateur en chef du musée Memling, trois raisons suffisantes d'organiser une exposition sur la Bruges du XVIe siècle.
Après le succès des rétrospectives Pourbus en 1984, et Memling en 1994, il était grand temps de lever un coin de voile sur la période artistique qui séparait les deux maîtres, une période dont la négligence par les historiens de l'art relevait bientôt de la cuistrerie. 1998 est par ailleurs le 500e anniversaire de la naissance de Lanceloot Blondeel, l'une des figures de proue de cette étape transitoire entre Moyen Âge et Renaissance. Il s'agissait enfin de rompre une fois pour toutes avec le mythe persistant d'une “Bruges-la-morte”, évoqué par la littérature romantique du XIXe siècle et largement entretenu depuis. Certes, à la fin du XVe siècle, Bruges doit faire face à des problèmes économiques, tel l'ensablement du Zwin, qui met à mal ses activités portuaires et l'exportation de sa production drapière. Admettons encore que cette crise la contraigne bientôt à céder sa place de première métropole marchande à sa concurrente Anvers. Pourtant, ”aucune ville ne brille autant dans le monde” écrivait en 1583 Pieter Pourbus, achevant de ces termes élogieux le portrait du brugeois Jacob van der Gheenste. Erasme la surnommait ”l'Athènes du Nord” et la décrivait comme une cité en avance sur son temps, soucieuse de justice, de tolérance, s'intéressant aux problèmes sociaux, à l'infrastructure urbaine... une cité idéale en somme. Les femmes n'y sont-elles pas d'ailleurs, comme l'affirmait l'Italien Guicciardini, ”plus belles, aimables, sobres et modérées que dans n'importe quelle ville de ces contrées” ? Foin de la triste imagerie traditionnelle attachée à la ville belge ! Et longtemps encore – jusqu'à la Contre-Réforme – la ville affichera des signes manifestes de prospérité et restera le lieu d'une production artistique foisonnante.
Cent œuvres, tableaux et dessins, sculptures, tapisseries, livres, manuscrits, cartes, céramiques provenant du monde entier, en témoignent aujourd'hui et constituent la trame pluridisciplinaire d'un captivant spectacle. Où l'on découvre les peintures de Provoost, du Maître du Saint-Sang, de Cornelisz, de Benson ou de Blondeel, des œuvres qui ouvrent de plain-pied sur la tradition tout en laissant poindre les premières influences de la Renaissance italienne. Le goût pour l'exactitude et la précision, la majesté des compositions, le choix de coloris vifs et variés, et surtout la parfaite maîtrise du métier... tous les canons fixés par Memling et David sont repris, mais sont ici associés aux concepts modernes d'harmonie, d'équilibre, d'humanité ainsi qu'à de nouveaux idéaux de beauté. Mais c'est peut être dans le domaine de la production de livres et de cartes que l'on s'instruit le mieux de cette oscillation entre tradition et modernité : alors qu'un Simon Bening continue de réaliser de luxueux manuscrits illustrés pour de riches commanditaires européens, Colar Mansion, William Caxton ou encore Jan Briton tentent les premières réalisations typographiques aux Pays-Bas.
Cette Bruges, un temps ressuscitée, livre ainsi l'image d'un siècle fécond, producteur d'œuvres d'une grande variété... autant de témoins d'une ville bien vivante.
BRUGES, Musée Memling-Ancien Hôpital Saint-Jean, jusqu'au 6 décembre, cat. 360 p., 250 ill. coul.
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Bruges-la-morte ressuscitée
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°499 du 1 septembre 1998, avec le titre suivant : Bruges-la-morte ressuscitée