Pays-Bas - Art moderne

XIXE SIÈCLE

Breitner sous l’impression de Manet et Degas

Par Élisabeth Santacreu · Le Journal des Arts

Le 19 juin 2024 - 796 mots

Le grand peintre néerlandais a construit son style à Paris en regardant les œuvres des deux maîtres français.

Pays-Bas. C’est l’impressionniste néerlandais, célèbre pour ses vues d’Amsterdam, ses chevaux, ses femmes en kimono et ses photographies. Mais, en France, on ne connaît pas George Hendrik Breitner (1857-1923). Pourtant, le Musée d’Orsay possède deux toiles de lui dont le beau Clair de lune (entre 1887 et 1889). Et la Fondation Custodia, à Paris, a acquis en 2011 une petite huile sur panneau, Jeune Femme aux bas noirs (vers 1889-1890), « le plus beau tableau de l’exposition », affirme Jan Rudolph de Lorm, le directeur du Singer Laren. Quasiment abstrait, il occupe le centre de la salle consacrée aux nus. Le seul élève de Breitner, Kees Maks, a raconté que son maître lui avait montré cette œuvre en lui disant : « Voilà comment il faut peindre ! »

Suzanne Veldink, commissaire de l’exposition, a fait de onze nus le cœur du parcours. Peints entre 1886 et 1893, ils ne furent pas tous exposés et les critiques, très conservateurs, ont été effarés par ceux qu’ils ont pu voir. Une aquarelle, Femme nue assise (vers 1892), représente une prostituée vêtue de ses seuls bas noirs. La même palette – terre de Sienne, gris et noir – est utilisée à grands coups de brosse pour suggérer plus que montrer le corps de la Femme demi-nue (vers 1892). Elle pose frontalement et son ombre portée sur le mur semble vouloir dévorer son visage où les yeux sont deux trous noirs. Trois autres tableaux présentés ensemble, Nu (vers 1888-1889) Anne. Étude de nu et Étude de nu (les deux datés d’octobre 1886-octobre 1888), juxtaposent les bruns et les terres à un rouge vibrant, du vert et du jaune. Les jambes sont modelées en larges coups de brosse, les pieds sont difformes, les visages plongés dans l’ombre. Anne. Nu couché (vers 1888-1889) [voir ill.] et Marie. Nu couché (vers 1889-1890) montrent des jeunes femmes dormant à plat ventre sur des draps blancs, dans des positions enfantines. Rien n’est aguicheur dans ces nus, pas de voyeurisme mais de la peinture pure.

Plusieurs séjours à Paris

En 1884, Breitner a passé quelques mois à Paris. Ami dès 1882 de Vincent van Gogh, il a fréquenté le frère de celui-ci, le marchand d’art Théo van Gogh. Grâce à lui, il a pu découvrir l’impressionnisme qu’il ne connaissait jusqu’alors que par les critiques – négatives – qu’en publiaient les journalistes néerlandais. Il a vu dans les galeries des œuvres d’Édouard Manet décédé en 1883. Peu avant son arrivée à Paris, l’école des Beaux-Arts avait présenté une exposition du peintre dont Olympia (1863) et Courses à Longchamp (1866) qui inspira sans doute la forme définitive de Cavalerie, terminé par Breitner en 1888. En 1884, il a peut-être rencontré Edgar Degas. En tout cas, lors de son voyage suivant, en 1889, il a certainement eu entre les mains les lithographies d’œuvres de Degas dues à Georges William Thornley. Car Breitner est retourné à Paris cette année-là pour assister à l’exposition universelle. Il y a admiré de nombreux Manet à l’Exposition centennale. C’est aussi de Manet que semble naître à cette époque la liberté de touche qui caractérisera le Néerlandais par la suite et dont témoigne déjà Nature morte de fleurs (vers 1883-1884). En 1884 encore, Breitner avait visité le Salon où étaient montrés deux portraits de James Whistler. Il a probablement été interpellé par l’artiste américain si lié à l’art français et qu’il a pu croiser lors de son séjour à Amsterdam en 1888. La Boucle d’oreille (1895) lui rend hommage comme les célèbres portraits d’Anna et Meisje en kimono (1894).

L’exposition montre ce que Breitner doit à ses séjours à Paris. Excellent dessinateur, il y venait pour apprendre à peindre et il y a acquis la liberté en oubliant le dessin. Chevaux de trait à Montmartre (1884-1885) présente déjà le style proche de l’esquisse que des critiques néerlandais lui reprocheront. Dans À bord (1897), il montre trois femmes en noir et blanc qu’on croirait sorties d’un Manet. Ses vues d’Amsterdam la nuit, dans le brouillard ou sous une pluie fine, où l’on distingue à peine les passants et les voitures à chevaux, évoquent les nocturnes de Whistler. On pense d’ailleurs que Nocturne en noir et or : la fusée qui retombe (1875) a été exposé en 1883 à la galerie Georges Petit à Paris et Breitner en a certainement entendu parler l’année suivante. Il y a beaucoup des pastels de Degas dans ses nus et il a continué de s’intéresser à l’art français : nombre de ses scènes où des personnages presque sans visage se croisent sans se voir dans la rue rappellent le Bonnard des années 1890. De ces puissantes influences, le Néerlandais a tiré son style propre, sa modernité.

Breitner,
jusqu’au 8 septembre, Singer Laren, Oude Drift 1, 1251 Laren (Pays-Bas).
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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°636 du 21 juin 2024, avec le titre suivant : Breitner sous l’impression de Manet et Degas

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