LE MANS
LE MANS [20.01.12] - À travers le thème fédérateur de l’eau, Le Mans évoque les découvertes archéologiques réalisées dans l’antique cité par les équipes de l’égyptologue Jean-Yves Empereur.
Fondée en 331 avant notre ère par Alexandre le Grand à l’ouest du delta du Nil, Alexandrie doit, dès le départ, résoudre des problèmes d’approvisionnement en eau. Les ingénieurs grecs redoublent d’ingéniosité pour faire venir l’eau du Nil avant que, quelques décennies après sa création, un canal ne relie la cité au fleuve, tandis que des canaux souterrains assureront la distribution de cette eau. Ce système est complété à la fin du IVe siècle par d’imposantes citernes à piliers destinées à stocker l’eau douce. C’est à la découverte de ces « histoires d’eaux » que le Musée de Tessé, au Mans (Sarthe), convie aujourd’hui ses visiteurs.
L’institution s’appuie sur les travaux menés depuis une vingtaine d’années par le Centre d’études alexandrines, fondé en 1990 à Alexandrie (Égypte) et dirigé par Jean-Yves Empereur. L’institution sarthoise a imaginé avec la collaboration de l’architecte archéologue Isabelle Hairy, ingénieure de recherche au CNRS, et de Françoise Chasserant, qui a quitté en 2010 la direction du musée où elle officiait depuis 1995, un parcours à la fois savant et didactique. Celui-ci démarre sur une grande carte de la vallée du Nil, conçue à même le sol, et des œuvres évoquant la vie en bordure du fleuve, prêtées par le Louvre et divers musées en régions.
Pour décrypter les systèmes de transport, de stockage ou d’épuration des eaux, les commissaires ont multiplié les dispositifs : panneaux explicatifs, schémas, relevés scientifiques, photographies anciennes, écrans tactiles discrets et maquettes d’une grande précision. Les reproductions miniatures de différentes machines à eau (qu’il est possible d’actionner) permettent ainsi de saisir le fonctionnement de la vis d’Archimède, dispositif de pompage pour l’arrosage des terres, ou celui du chadouf, système de balancier pour transporter l’eau du canal aux champs. Est aussi présentée une sakieh, cette roue à godets utilisée pour remonter l’eau d’un puits ou d’un canal. Les maquettes de citernes, telle celle d’El-Nabih, plongent le public au cœur des recherches menées par les équipes de Jean-Yves Empereur à Alexandrie où quelque 144 citernes ont été dénombrées. Seule une vingtaine de fouilles d’urgence ont pu avoir lieu dans la ville, menées, à quelques rares exceptions près, « sous la pression constante des entrepreneurs immobiliers dont on retarde le projet », comme le rappelle Jean-Yves Empereur dans la publication scientifique qui fait office de catalogue d’exposition. Il regrette ici que « la lutte entre le promoteur et l’archéologue [soit] inégale », à tel point que les fouilles sont devenues actuellement impossibles alors que le développement urbain s’accélère, et en appelle à la protection de ce patrimoine d’une grande richesse.
Rénovation prochaine
La scénographie n’est pas toujours à la hauteur du propos et quelques fautes de goût nuisent à la lisibilité des œuvres, ainsi pour la fresque aux couleurs criardes réalisée sur le thème du Nil en début de parcours. De même, dans la dernière salle consacrée aux rites funéraires égyptiens, une installation photographique évoquant l’eau et la mort trône en plein milieu de l’espace, là où il aurait plutôt fallu mettre en valeur les œuvres, tels ce feuillet du chapitre 110 du Livre des morts ou cette table d’offrande datée de 330 avant notre ère.
Toujours présente au musée, Françoise Chasserant doit bientôt participer à la rénovation des salles d’égyptologie de l’institution, qui a inauguré, en 2001, deux espaces de reconstitution grandeur nature des tombes égyptiennes de la reine Nefertari (vers 1230 av. notre ère) et de Sennefer, « maire » de Thèbes (1520 av. notre ère). Ces fac-similés présentent l’intérêt d’avoir été conçus avant les restaurations radicales dont les tombes ont fait l’objet. Le nouveau directeur des musées du Mans, François Arné, réfléchit quant à lui à la possibilité de repenser l’organisation des espaces du musée. L’établissement est en effet contraint de déplacer sans cesse les œuvres du parcours permanent s’il veut réaliser des expositions temporaires auxquelles aucun espace spécifique n’est dédié, excepté une toute petite salle au rez-de-chaussée.
Commissariat général : Jean-Yves Empereur, directeur du Centre d’études alexandrines ; Françoise Chasserant, directrice honoraire du Musée Tessé, au Mans
Commissariat scientifique : Isabelle Hairy, architecte archéologue, ingénieure de recherche au CNRS
Jusqu’au 27 mai, Musée de Tessé, 2, av. de Paderborn, Le Mans, tél. 02 43 47 38 51, www.expo-nilalexandrie.fr, tlj sauf lundi, 9h-12h et 14h-18h, week-end et jours fériés, 10h-12h30 et 14h-18h. Catalogue, coéd. CNRS/Centre d’études alexandrines, 722 p., 40 €.
Modèle de barque funéraire, Égypte, Moyen Empire, bois peint, Musée de Tessé, Le Mans. © Musée de Tessé, Le Mans.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°361 du 20 janvier 2012, avec le titre suivant : Aux sources d’Alexandrie