LENS
L’exposition aborde ce genre dit « mineur » de la peinture par l’angle de la création, dans une élégante scénographie d’artiste signée Laurent Pernot.
Lens (Pas-de-Calais). Dans un vaste espace obscur, la musique entêtante de Philip Glass accueille les visiteurs en préambule à l’exposition « Paysage. Fenêtre sur la nature » présentée au Louvre-Lens. Sur six écrans suspendus dans le vide, des extraits de films montrent une nature bouillonnante, furieuse, ou vertigineusement immense. Pour s’extraire de cette contemplation, il faut passer sous une arche qui mène dans une petite rotonde d’un jaune puissant. Dans cet espace confiné, rassurant, quelques artefacts relatent la Création du monde : une tablette mésopotamienne, un papyrus égyptien, ou une plaque de verre imprimée pour lanterne magique du XIXe siècle. Le visiteur est fin prêt pour sortir à l’air libre, en pleine nature : derrière, c’est la forêt qui l’attend.
Conçu par l’artiste Laurent Pernot, en collaboration avec Mathis Boucher, scénographe maison du Louvre-Lens, le parcours met en scène un discours centré sur la création du paysage, qui vulgarise sans simplification excessive. Un équilibre qui n’a pas toujours été trouvé lors des expositions passées, mais qui est ici parfaitement efficient. Son commissaire, Vincent Pomarède, songeait à cette exposition dès l’ouverture de l’antenne nordiste du Louvre, où la démocratisation culturelle et l’ouverture vers les publics dits « empêchés » sont une priorité. Dix ans plus tard, la hiérarchie des genres d’André Félibien, la défense du paysage par Roger de Piles, l’idée du peintre comme « créateur » du monde et d’autres notions plutôt pointues de l’histoire de l’art sont présentées de manière succincte et claire dans ce parcours estampillé « tout public ».
En faisant appel à l’artiste formé au Fresnoy-Studio national des arts contemporains (Tourcoing), le Louvre-Lens a trouvé la bonne idée pour animer un sujet qui, sur le papier, peut manquer de relief. « J’envisage les musées comme des cimetières, énonce d’ailleurs sans détour Laurent Pernot. En même temps, c’est important de leur apporter de la vie. » Pour ce faire, le parcours imaginé par le plasticien veut mobiliser les sens : des pistes sonores, bruitages d’ambiances, variations lumineuses et même des vibrations rythment la visite. « Finalement, c’est assez imperceptible, comme lorsqu’on se balade dans la nature », explique l’artiste, qui pense également au public régional revenant voir les expositions à plusieurs reprises : d’une visite à l’autre, l’expérience pourra être tout à fait différente. « On peut visiter cette exposition de multiples manières, s’y perdre comme dans la nature, ou la parcourir comme un visiteur “fourmi” », renchérit Vincent Pomarède. Accompagné de Marie Gord, l’ancien directeur du département des Peintures du Louvre a conçu un propos très structuré qui se déroule presque comme un tutoriel de la peinture de paysage. D’abord, les « Ornements de la nature » selon l’expression du XVIIe siècle et le titre de la section, que le peintre collecte en observant son environnement, pierres, ciels, végétation. Puis, autre section, « La grande confrontation », ou comment l’artiste fait se rencontrer ces ingrédients dans un cadre vraisemblable. Suit le rythme des saisons ou des heures, qui éclaircira ou assombrira la toile selon les intentions de l’artiste. Dans une dernière partie, cette nature enfin domestiquée est mise au service de contes, de récits, de mythologies. Avant de tout déconstruire, en fin de parcours, avec le Lake George de Georgia O’Keeffe, une gravure de Victor Hugo ou un grand format de Joan Mitchell.
Ce propos bien charpenté semble de prime abord en contradiction avec les désirs de grands espaces de Laurent Pernot. « Je voulais une exposition totalement ouverte, et les commissaires avaient un propos structuré », résume l’artiste. Mais le résultat final offre une scénographie en parfaite symbiose avec son sujet : c’est que le plasticien l’a conçue comme un paysage. Les cimaises déploient toutes les typologies du genre, depuis la grande perspective menant à un soleil couchant monumental fait de feuilles dorées jusqu’à la forêt romantique. Outre les interventions sonores, des talus rocheux ou d’élégantes formes sinueuses font du parcours une véritable promenade.
Au-delà de ce riche vocabulaire scénographique, le parcours brille surtout par la lecture qu’il offre des œuvres présentées. Le travail scientifique, inédit, de compilation des « ornements de la nature » ouvre ainsi à une compréhension fine du processus créatif, et fait redécouvrir les travaux de peintres négligés, comme les beaux ciels de Pierre-Henri de Valenciennes. Aussi, le Louvre-Lens nourrit depuis six ans l’ambition de présenter « autrement » l’extraordinaire fonds du Musée du Louvre ; Laurent Pernot considère de son côté que les présentations muséales sont trop figées et offrent une perception unilatérale des œuvres. Les conditions sont ici réunies pour qu’une certaine marge de liberté soit autorisée dans la présentation des toiles : elle prend la forme d’un dispositif d’éclairage changeant et coloré, appliqué à quatre œuvres du parcours. Une prise de risque sujette à discussion, et une réussite qui révèle la complexité chromatique du Printemps de Jean-François Millet, et renforce la dramaturgie de La Baie d’Along peinte par Gaston Roullet. C’est le genre de trouvaille que l’on souhaiterait voir plus souvent dans les musées : Marie Lavandier, directrice des lieux [lire aussi p. 6], a, elle, « hâte de montrer ça aux collègues ».
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°609 du 14 avril 2023, avec le titre suivant : Au Louvre-Lens, des paysages bourgeonnants