ENTRETIEN

Zeng Fanzhi : « Je n’ai jamais cherché à plaire »

Par Henri-François Debailleux · Le Journal des Arts

Le 13 novembre 2013 - 764 mots

On peut voir d’importantes références à l’art occidental dans votre travail. D’où vient cette influence ?
Lorsque j’étais à l’École des beaux-arts de Wuhan, j’ai suivi la même éducation plastique que si j’avais été en Occident. J’ai reçu la même formation pour le travail d’esquisse, de peinture d’après nature, de copies, j’ai vraiment appris toutes les techniques occidentales classiques. L’enseignement était très strict ; on travaillait sur le corps humain tous les jours avec obligation de tenir compte de la structure des muscles, de la perspective, de la composition du tableau. En revanche, dans la Chine de cette époque, nous n’avions pas accès aux œuvres originales et avions même très peu l’occasion de voir des catalogues dotés de reproductions. Donc, parallèlement à des bases solides, l’imagination a joué un grand rôle. À ma sortie de l’école, j’étais fasciné, obsédé par l’art occidental. Dès que j’ai pu voir les œuvres originales, je les ai encore plus appréciées, adorées, et j’ai beaucoup étudié les techniques de différents peintres classiques.

Avez-vous, d’une manière ou d’une autre, été influencé par vos aînés, les artistes du groupe des Étoiles, considérés, à la fin des années 1970 et au début des années 1980, comme la première génération d’artistes contemporains en Chine ?
Ils étaient à l’époque assez connus dans le milieu de l’art, mais je n’ai jamais eu envie de suivre leur exemple. Je n’ai jamais été en rapport avec eux, je n’ai même pas vraiment vu leur travail dans ces années-là. J’en ai simplement entendu parler. J’ai préféré aller dans ma propre direction. En revanche, j’étais plus proche et même ami avec des artistes de la génération suivante comme Zang Xiaogang. Mais à un moment, j’ai eu envie de m’enfermer pour me consacrer à mon travail. Maintenant chacun vit sa vie ; cela dit, lorsqu’ils font des expositions, je me rends bien sûr à leurs vernissages.

Que pensez-vous d’Ai Weiwei, souvent plus connu par son comportement politique que par son travail lui-même ?
Il n’y a pas tant de gens que cela qui aiment le travail d’Ai Weiwei, mais il y a beaucoup de monde qui déteste le gouvernement chinois. Chaque artiste choisit sa propre voie.

L’une de vos toiles, « The Last Supper », est récemment devenue l’œuvre asiatique contemporaine la plus chère au monde. Comme le vivez-vous ?
Cela me laisse assez indifférent. Je sais qu’on ne me croit pas quand je dis cela, mais c’est pourtant vrai, car j’ai déjà été confronté à cette situation en 2008, lorsque l’un de mes tableaux a fait un record de prix en atteignant les 9 millions de dollars. À l’époque, il y a eu beaucoup de commentaires, de critiques et j’ai même été soupçonné d’avoir moi-même acheté la toile pour faire monter la cote. À ce moment-là, cela m’a beaucoup touché. Aujourd’hui, je suis très serein. J’ai appris comment réagir face aux ventes. Le marché produit toujours des hauts et des bas, et il ne faut pas se laisser influencer par ces fluctuations de prix. De toute façon, un artiste ne peut pas maîtriser ce qui se passe sur le marché ; en revanche, il peut contrôler son travail. Cependant il est évident que j’ai été surpris par cette somme très élevée.

Justement, comment, dans de telles conditions, avez-vous abordé cette exposition ?
J’ai ressenti de l’appréhension et de l’inquiétude lorsque j’ai appris que ce tableau allait passer aux enchères. J’avais peur qu’il soit vendu ou trop cher ou pas assez, et que cela devienne un sujet de commentaires. J’ai donc craint que les gens se focalisent là-dessus au détriment du contenu même de mon travail. Or nous avons passé plusieurs années à préparer cette exposition et j’ai surtout envie que les gens regardent mes tableaux.

La pression du marché ne vous incite-t-elle pas à réaliser des œuvres qui vont dans le sens de ce qu’attendent les collectionneurs ?
Chaque fois que je change de style, cela représente un vrai défi. Car il suffit que je commence quelque chose de nouveau, que j’expérimente un autre sujet pour que tout le monde, aussi bien les collectionneurs que les commissaires d’exposition ou les galeristes, s’intéresse à ma période précédente. Mais je n’ai jamais cherché à plaire à quiconque, je suis fidèle à ce que je ressens et je fais toujours ce qui me passionne. Même dans les périodes les plus difficiles de ma vie, j’ai toujours suivi ma propre pensée artistique, je ne me suis jamais laissé influencer et je continuerai ainsi. Si j’éprouve le besoin de changer, de faire de nouvelles explorations, ce ne sont ni les collectionneurs ni le marché qui vont m’en empêcher.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°401 du 15 novembre 2013, avec le titre suivant : Zeng Fanzhi : « Je n’ai jamais cherché à plaire »

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