Largement autoréférentiel, l’art de Matti Braun se construit par touches discrètes et subtiles, abordant une relecture des liens historiques entre l’Europe et l’Afrique.
NOISY-LE-SEC - Les deux images semblent être rigoureusement identiques, à la seule différence qu’elles paraissent avoir été accrochées tête-bêche : des tirages photos d’une étendue bleue bordée d’une fine frange blanche à l’une des extrémités (Sans titre, 2009). Pourtant, si elles ont été réalisées à quelques minutes d’intervalle depuis un endroit identique – un avion en vol entre Dakar et Casablanca –, l’une figure le ciel et l’autre la mer, ce que d’infimes ondulations révèlent finalement lors d’un examen très attentif. Précise et rigoureuse, la programmation du centre d’art La Galerie, à Noisy-le-Sec (Seine-Saint-Denis), évite de s’adonner à du bavardage inutile au sein de ses expositions. Avec la présentation consacrée à l’artiste allemand Matti Braun (né en 1968) et organisée dans le cadre de « Thermostat », opération d’échanges entre centres d’art français et Kunstvereine allemandes (lire le JdA no 338, 7 janvier 2011, p. 13), c’est un accrochage tout en touches subtiles qui accueille le visiteur, en jouant avec le regard et l’esprit à la faveur d’allusions discrètes et de renvois permanents. Tout d’abord le titre, « Salo », qui, s’il ne manque d’évoquer le régime mussolinien et le film éponyme de Pasolini, signifie en outre une étendue désertique en finlandais. Le projet s’inscrit d’emblée dans une perspective faite de références tenant plus de l’évocation que de l’expression directe, où les pistes se croisent au service du caractère polysémique des œuvres.
Histoires individuelles
L’exposition se déploie en deux installations. D’une part Atol (2010), où un sol de laiton doré, qui se charge progressivement des traces de passage des visiteurs, donne à voir un cadre enfermant des papillons noirs, blancs ou noirs et blancs, et d’autres avec des batiks sur soie adoptant une gamme chromatique similaire. Trois d’entre eux, aux motifs géométriques identiques, ne se montrent d’ailleurs différents que dans leurs teintes. Dans le second espace, le sol est recouvert d’une chape de ciment, pour partie composée de sable venu d’une plage marocaine. En 2009, Matti Braun a effectué une résidence à Rabat, à « L’appartement 22 », qui le conduisit également au Sénégal où il a appris la technique du batik. L’installation Pierre Pierre (2010) déploie ainsi d’autres peintures, « tachistes » cette fois, réalisées sur coton ou sur soie, que côtoie un ensemble de photographies mêlant des objets d’art « primitifs », des références au Maroc ou encore des images surréalistes et des documents témoignant de la présence dans le pays du sculpteur allemand Arno Breker – artiste officiel du régime nazi, qui travailla également… au Sénégal ! Certes, l’ensemble peut paraître quelque peu aride, pour ne pas dire opaque par endroits, et nécessite de connaître un peu de l’histoire et du contexte afin de pouvoir s’y immiscer. L’artiste s’invite, lui, dans les liens politiques et culturels entre l’Afrique (Maroc et Sénégal) et l’Europe (France et Allemagne), non sans interroger le sens et les contradictions de l’histoire officielle. Dans une chaîne d’associations qui paraît pouvoir être sans fin, Matti Braun laisse en effet se croiser des liens contextuels, historiques ou artistiques. S’entremêlent des histoires individuelles mises au service d’une histoire culturelle bien plus complexe, où les références et propos aux ramifications multiples se posent en contre de l’univocité du discours. D’ailleurs, de discours il n’y a pas vraiment, s’agissant d’une œuvre qui, tout en reposant sur du concret, s’affirme comme totalement spéculative, voire entretient volontairement une part de confusion. La volonté de garder intacte la liberté d’interprétation est toutefois poussée jusqu’à l’extrême – l’absurde ? – par l’artiste, qui, tout en étant rétif à accorder des entretiens afin de ne pas figer ou enfermer ses idées ou sa parole, refuse en outre que des notes soient prises lorsqu’il évoque son travail. Le jeu de piste proposé n’en demeure pas moins passionnant, qui à chaque indice révélé ouvre de nouvelles voies d’exploration. Les fils à tirer peuvent dès lors être sans fin, et l’esprit et l’imaginaire continuer à dérouler une pelote dont on ne parvient jamais à mesurer l’ampleur !
Jusqu’au 13 février, La Galerie, 1, rue Jean-Jaurès, 93130 Noisy-le-Sec, tél. 01 49 42 67 17, www.noisylesec.fr, tlj sauf dimanche et lundi, 14h-18h, samedi jusqu’à 19h
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Une énigme culturelle
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Abonnez-vous dès 1 €Commissaire : Hilke Wagner, directrice de la Kunsteverein Braunschweig de Brunswick
Nombre d’œuvres : 21
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°339 du 21 janvier 2011, avec le titre suivant : Une énigme culturelle