Dans sa première exposition personnelle en France, l’Américain Kelley Walker
s’attaque à la violence ordinaire des images.
GRENOBLE - Avec son treillis et sa casquette, Kelley Walker a l’air d’un GI tout droit sorti de sa réserve, et son œuvre respire autant la testostérone que le combat. Une de ses installations, un test de Rorshach géant en camouflage, résume bien l’esprit de ce travail percutant que l’on découvre aujourd’hui en France, au centre d’art Le Magasin, à Grenoble. Les installations, sérigraphies et caissons lumineux de l’artiste américain se dressent d’ailleurs de manière intestine face au pouvoir de l’image et des mass media. Publicité ou information ? Kelley Walker crée des collisions médiatico-culturelles sur fond de société de consommation et d’industrie du spectacle.
C’est d’abord en bande, en compagnie de Seth Price, Wade Guyton et Josh Smith, que le trublion s’est fait connaître. L’énergie presque guerrière des « Continuous Project » n’aura pas échappé au collectionneur d’art britannique Charles Saatchi, lequel prend sous son aile ces New-Yorkais qui mêlent dans leurs œuvres les mots aux images et détournent sans relâche la puissance visuelle des médias. Dans ses impressions numériques, de reproduction en reproduction, Kelley Walker altère non seulement l’information originelle, mais il pratique aussi du même coup une certaine forme de camouflage. Celle qui nous gouverne ? Artiste rebelle, il s’attaque essentiellement à la violence ordinaire des images avec un CD-Rom (Nine Disasters) qu’il fait presque circuler sous le manteau et où il compile diverses représentations de catastrophes. L’heureux collectionneur qui l’acquiert peut reproduire à l’envi ces désastres jusqu’à les épuiser, les vider de leur sens.
« King » et « Artforum », même combat ?
Il y a un an à peine, lors de l’exposition « USA Today » organisée par Saatchi à la Royal Academy of Art de Londres, Walker se réapproprie l’image de la catastrophe aérienne sur le vol 243 de l’Airlines Aloha en 1988 : maculée de sang, elle a subi des numérisations successives. Quant aux reproductions grand format de la couverture de la revue érotique King, elles sont traversées de traces de dentifrice Aquafresh. Une manière pour cet artiste, représenté par la galerie Paula Cooper à New York, de manifester les chaudes émotions et les effets pervers des médias sur l’homme.
Au Magasin à Grenoble, l’exposition s’ouvre sur une couverture géante du magazine d’art new-yorkais Artforum, « une » transformée en caisson lumineux. À travers les différentes couches de dentifrice, le nom de l’artiste et l’une de ses œuvres sont mis à l’épreuve de la reproduction. Deux salles plus loin, Kelley Walker s’est concentré sur une photographie des années 1960 illustrant une scène de ségrégation raciale. Déclinant le cliché en différents formats et couleurs, l’artiste a effectué de multiples rotations et manipulations informatiques qui dénoncent le pouvoir de la presse. Parfois plus proche de la propagande que de l’information, à l’instar de la publicité, la presse matraque les populations à l’aide d’images toujours plus démonstratives et chaque fois plus choquantes. Ce que Kelley Walker met en scène dans son œuvre. Et la critique ne s’arrête pas là puisque l’artiste s’approprie des icônes culturelles. Dans ce qui évoque l’ambiance glauque d’un bar, l’image de la chanteuse Whitney Houston, inaccessible et sexy, se démultiplie alors que des miroirs renvoient le reflet déformé des visiteurs. Ailleurs, l’artiste a exhumé des spots télévisuels des années 1970 de la Braniff Airlines : sur fond publicitaire, le célèbre boxeur Sonny Liston s’y fait le complice d’Andy Warhol. Alors qu’un pare-brise explosé gît dans un coin, le symbole du recyclage est présent çà et là dans l’exposition, sur des médaillons géants. Des tableaux représentent des murs de briques réalisées à partir de coupures de journaux accumulés. Au travers de cette importante monographie, Kelley Walker révise le pouvoir de la presse aux yeux du public par des œuvres « coups de poing ».
Jusqu’au 6 janvier 2008, Le Magasin/Centre national d’art contemporain, site Bouchayer-Viallet, 155, cours Berriat, 38000 Grenoble, tél. 04 76 21 95 84, tlj sauf lundi 14h-19h, www.magasin-cnac.org. Catalogue à paraître. Et aussi : Tino Sehgal, jusqu’au 18 novembre ; john Baldessari & Jill Miller, Everybody wants to rule the world, jusqu’au 6 janvier.
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Un GI esthétique en Magasin
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Abonnez-vous dès 1 €- Commissaire de l’exposition : Yves Aupetitallot - Nombre d’œuvres : 35 - Nombre de salles :5
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°267 du 19 octobre 2007, avec le titre suivant : Un GI esthétique en Magasin