Chine - Centre d'art

Tribulations de deux Belges en Chine

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 5 octobre 2007 - 845 mots

Les collectionneurs Guy et Myriam Ullens inaugurent le 2 novembre leur centre d’art contemporain à Pékin. Genèse d’un pari privé risqué.

Dans la galaxie des collectionneurs d’art contemporain chinois, les Belges Guy et Myriam Ullens font office de pionniers. Le 2 novembre, le couple inaugurera dans le quartier de Dashanzi, à Pékin, un centre d’art d’une surface de 6 500 m2 baptisé « Ullens Center for Contemporary Art » (UCCA). Cornaqué par le curateur Fei Dawei et l’ancien directeur des collections de la Tate Modern, à Londres, Jan Debbaut, ce projet est validé par le cabinet de conseil en stratégie Boston Consulting Group, qui a notamment servi d’intermédiaire avec les autorités locales.

Dès l’exposition de leur collection à l’Espace Cardin à Paris en 2002, l’idée d’ouvrir un lieu qui lui serait entièrement dévolu démange le couple. Après avoir prospecté à Shanghaï, les Ullens se reportent sur Pékin. En septembre 2005, ils décrochent la location d’une ancienne manufacture d’armement des années 1950, convoitée aussi par le Guggenheim. L’architecte Jean-Michel Wilmotte est alors chargé de remettre d’aplomb cette construction très Bauhaus, segmentée en deux longues nefs. La collection des Ullens, dont un pan sera dévoilé en 2008 au moment des Jeux olympiques, ne sera pas installée de manière permanente, mais servira de « fond de sauce » pour les expositions temporaires. La première, traitant des années 1980, ferments de l’art contemporain chinois, sera suivie en février 2008 d’une monographie de Huang Yong Ping. Le recours ponctuel aux œuvres des Ullens permet aussi d’éviter la taxe  à l’importation de 35 % qui frappe toute entrée de bien au-delà de six mois.

Un centre de formation
Mais pourquoi ouvrir en Chine, où les négociations sont, on le sait, très complexes ? Le pays compte lui-même construire mille musées d’ici à 2015, Pékin en alignant à lui tout seul quelque cent trente et un. « Le seul musée chinois d’art contemporain sérieux est celui de Canton, affirme Guy Ullens. La Chine n’a pas acheté d’art contemporain. Toute la collection impériale est partie à Taïpeh et, pour eux, c’est un grand traumatisme. Créer un dispositif ambitieux pour l’art contemporain chinois en dehors de la Chine serait de très mauvais goût. » De fait, le service éducatif et la bibliothèque constituent les pierres cardinales du dispositif. Tout aussi central apparaît le grand espace dédié à la restauration et aux menus plaisirs pour V.I.P. Une telle débauche de luxe gastronomique semble pourtant hors sujet relativement à la vocation d’un centre d’art. Mais, faute de pouvoir agir sous un régime associatif inexistant en Chine, les ordonnateurs ont dû opter pour un statut commercial. « Le gros du travail sera de discuter avec les autorités pour être partiellement non-profit et partiellement commercial, confie Guy Ullens. Pour l’instant, ils veulent voir comment on va travailler, ce dont on est capable, et après on peut commencer à parler.» La section « restaurant », ainsi que la vente d’estampes, dont les commandes aux artistes seront supervisées par le spécialiste Jean-Marc Decrop, devraient assurer la viabilité économique du site. Seuls bailleurs de fonds du projet, les Ullens négocient actuellement avec des sponsors chinois et occidentaux pour répartir la charge. Le couple entrepreneur envisage aussi d’annexer une parcelle adjacente, d’une surface de 4 000 m2, pour créer un centre de formation destiné aux conservateurs.

Comme dans le monde des affaires en général, où les investisseurs étrangers ont souvent été les dindons de la farce en livrant sur un plateau technologie et savoir-faire pour être finalement mis sur la touche, les Ullens devront peut-être un jour s’effacer devant des intervenants locaux. « Notre nom va à un moment ou un autre disparaître de la circulation, mais nous n’avons pas d’état d’âme, confie Guy Ullens. On remettra le bébé à des Chinois. Nous rêvons [d’arriver], dans cinq ou dix ans, [à] une structure mixte avec un grand spécialiste issu d’un musée occidental et un autre de Singapour ou Hongkong. D’ici là, notre travail, c’est que ce centre soit pérenne, qu’il soit intégré dans le tissu urbain. Ce n’est pas gagné d’avance. »

La collection Ullens

Les Ullens ont commencé à acheter en 1987 des créateurs chinois qui ne bénéficiaient alors d’aucune accréditation occidentale, encore moins d’une valeur ajoutée financière. Montée dans un premier temps grâce aux conseils du galeriste Chang Tsong-zung, puis de Jean-Marc Decrop, ancien codirecteur de la galerie Loft, à Paris, la collection d’environ 1 500 œuvres compte tous les grands noms de l’art contemporain chinois, de Wang Guangyi à Zhang Xiaogang en passant par les Luo Brothers. L’entrée en scène en 2002 du curateur Fei Dawei oriente les achats vers la vidéo, les installations et la photographie. Souvent mis en compétition avec celui du Suisse Uli Sigg, l’ensemble des Ullens est plus complet. « Ils ont plus de tableaux anciens de tous les artistes importants et n’ont jamais hésité à mettre le prix », précise Jean-Marc Decrop. En avril-mai, le couple a « nettoyé » sa collection en se délestant d’une centaine d’œuvres chinoises, tout en cédant un ensemble de quatorze aquarelles de William Turner chez Sotheby’s en juin.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°265 du 21 septembre 2007, avec le titre suivant : Tribulations de deux Belges en Chine

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