Après la Criée à Rennes, l’exposition personnelle d’Adel Abdessemed, au Plateau à Paris, nous plonge dans un climat de violence contenue.
PARIS - Pour débuter, petite leçon de biologie et de savoir-vivre : aussi doux et attendrissants soient-ils, nos adorables petits chats des villes et des champs dévorent les souris et même les gros rats… Sous leur aspect le plus flatteur, les félins restent de féroces prédateurs ! Et ils ont un faible pour les rongeurs, aussi cruel que cela soit. La mort est partout, la menace aussi. Adel Abdessemed le démontre, images à l’appui, avec une projection vidéo en grand format qui occupe le cœur de son exposition personnelle au Plateau/FRAC Île-de-France, à Paris.
Nicolas Sarkozy ou George W. Bush parlent déjà depuis longtemps de « tolérance zéro » pour qualifier leur politique répressive. L’artiste leur répond avec justesse à travers cette exposition intitulée « Practice Zero Tolerance ». Car Abdessemed, né en 1971 à Constantine en Algérie, nous plonge sans compassion ni compromis dans la dure réalité politique de la planète. Avec subtilité, talent et poésie, il nous confronte, depuis quelques années déjà, aux tensions existant entre les mondes arabe et chrétien. Les clichés des peurs et des paranoïas que nourrissent mutuellement ces deux univers — qui se connaissent mal et se comprennent donc peu —, défilent à travers les œuvres de l’artiste, comme pour apaiser les mœurs.
Toute l’exposition du Plateau nous plonge dans un climat de violence contenue. Le visiteur ne sait plus s’il arrive après un conflit déjà consommé, ou bien sur un terrain miné qui n’attend pas grand-chose pour exploser. La carcasse d’une voiture carbonisée fait-elle référence aux récentes émeutes de banlieue, à la guerre au Liban, à celle en Irak, ou à l’insurrection en général ? Peu importe, ce moulage donne une texture calcinée aux rapports humains. À deux pas de là, des mèches de perceuses géantes se dressent, semblables aux éléments d’une architecture menaçante. À moins qu’il ne s’agisse d’une série de monuments religieux taillés dans un marbre funéraire.
Les œuvres les plus controversées
D’entrée, le ton est donné. Sur le tableau noir de notre enfance, les desseins d’un monde obscur ont été tracés à la craie blanche. Reflet d’une stratégie de dissidence politique, cette œuvre, Dazibao,
– conçue spécialement pour le Plateau – présente en outre le parcours de l’exposition. Elle annonce, par exemple, avec la mention « Guantanamo » (nom de la célèbre prison cubaine), l’œuvre que l’on retrouve quelques salles plus loin. Aussi tranchants qu’attrayants, ces anneaux – de la taille de l’artiste et de sa femme (respectivement 169 et 172 cm) – réalisés à l’aide de fils de fer barbelés, font autant référence à la fragilité du corps qu’à l’univers carcéral. À chacun ses propres limites et sa longueur de barbelés ! Plus loin, l’artiste met en scène, par le biais d’un dessin, le « fornix », cette partie du cerveau qui déclenche la sensation de peur. Puis, à travers la projection en boucle d’une courte vidéo, il nous convainc que la parole n’a plus grande valeur… Finalement, avec « Practice Zero Tolerance », Adel Abdessemed appelle à une reprise du dialogue, débarassé de toute crainte. Le message qu’il délivre n’est-il pas une invitation à accepter l’autre, et ce en dépit de ses différences ? L’artiste semble fonder quelques espoirs sur la tolérance, à laquelle il voue une dimension tant spirituelle qu’architecturale. Il a en effet le projet d’ériger un monument en son honneur à Jérusalem. À la croisée d’édifices connus tels que le Capitole, le Mur des lamentations ou une mosquée, ce bâtiment – dont la maquette nous est ici offerte – pourrait accueillir en son sein les œuvres les plus controversées du monde. Et ce quelles que soient la religion ou la nationalité de leurs auteurs. Cet édifice porterait sur sa façade les propos de tous les citoyens du monde. Une version artistique de l’ONU ? De quoi rêver en tout cas, en ces temps conflictuels, d’un monde aussi divers qu’uni.
Jusqu’au 19 novembre, Le Plateau/FRAC Île-de-France, place Hannah-Arendt, 75019 Paris, tél. 01 53 19 84 10, www.fracidf-leplateau.com, du mercredi au vendredi 14h-19h, samedi et dimanche 12h-20h.
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Tolérance année zéro
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Abonnez-vous dès 1 €- Commissaires : Caroline Bourgeois et Larys Frogier - Nombre de salles : 5 - Nombre d’œuvres : 11
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°244 du 6 octobre 2006, avec le titre suivant : Tolérance année zéro