Art contemporain

T’ang Haywen

Par Anne-Cécile Sanchez · L'ŒIL

Le 22 avril 2024 - 859 mots

Des peintres d’origine chinoise arrivés à Paris aux alentours de 1950, T’ang Haywen, qui s’installe en France en 1948, est le plus confidentiel.

Bien moins célèbre que Zao Wou-Ki (1920-2013) et Chu Teh-Chun (1920-2014). Mais ceux qui connaissent l’œuvre de cet artiste discret et inspirant le chérissent particulièrement. « Zao est le mandarin espiègle et fantasque, Chu, le guerrier imperturbable reconstruisant encore et toujours ses montagnes ; et lui, T’ang, le papillon qui butine et fertilise le regard », note Philippe Koutouzis, directeur des Archives T’ang Haywen et auteur du futur catalogue raisonné. « Un maître de l’encre », ajoute, fasciné, le galeriste Jean-François Cazeau.

influence de la calligraphie

Contrairement à ses compatriotes, T’ang Haywen n’a pas suivi de formation académique en Chine. Lorsqu’il arrive à Paris, soi-disant pour y suivre des études de médecine (un prétexte pour rassurer sa famille), il s’inscrit aux ateliers de peinture et de dessin de la Grande Chaumière. L’exposition du Musée Guimet (une sélection parmi la donation faite en 2022 de 200 œuvres et 400 pièces d’archives personnelles) présente quelques-unes des petites aquarelles sur carton que le jeune homme envoyait à l’époque en guise de carte de vœux : leurs couleurs et leur style attestent de son assimilation des canons de l’art occidental. T’ang Haywen observe, les natures mortes modernes notamment. En 1964, son Hommage à Cézanne reprend le thème des Grandes Baigneuses du maître d’Aix. Parmi ses influences, il faut aussi citer Shitao, moine calligraphe, poète et paysagiste du XVIIe siècle, auteur de Propos sur la peinture du moine Citrouille-Amère, un ouvrage de référence qui professe la liberté de l’artiste et de son geste.Les premières compositions à l’encre sur carton de T’ang Haywen témoignent évidemment de sa connaissance de la calligraphie – que lui a enseignée son grand-père. Pour autant, il ne souhaite pas s’inscrire dans une tradition. Ni d’ailleurs dans aucun mouvement, réfutant le terme d’abstraction pour lui préférer celui de « non-figuration ». C’est avant tout un explorateur, toujours à la recherche de nouveaux supports, de formats différents, comme le montrent ces quelques carreaux ramenés d’un séjour à San Francisco où il s’est essayé à la peinture sur céramique.Au début des années 1960, T’ang mélange les techniques apprises en Occident avec celles de son héritage asiatique, réalisant des compositions colorées à l’encre et à la gouache. Certaines expriment une vivacité saisissante. Il dessine, tout le temps, dans des carnets. Ses croquis au crayon (La lettre, d’après Goya, sans date ; Pablo Picasso et Françoise Gilot, sans date) montrent combien la calligraphie trouve un prolongement dans l’épure d’un trait en quête de mouvement, où l’on devine une filiation avec l’œuvre graphique de Matisse, qu’il regarde aussi beaucoup. Ses premiers diptyques, que l’on associe spontanément à son nom (en particulier sa série « visage-paysage »), datent des années 1970. « Il utilise tout d’abord les formats 21 x 29,7 et 50 x 70, puis deux feuilles accolées de 21 x 29,7 pour former un diptyque de 29,7 x 42 cm, et finalement, affine son approche et invente le grand diptyque de 70 x 100 cm qui le caractérise », explique Philippe Koutouzis.

des paysages vus ou rêvés

L’économie de moyens est une constante dans l’œuvre de T’ang Haywen, qui mène une existence modeste. Mais ce dispositif formel suffit à lui offrir un espace propice à exprimer en quelques coups de pinceau l’essentiel : la tension du plein et du vide, du statique et du dynamique. « Il recrée un troisième élément à partir des deux premiers », remarque Valérie Zaleski, conservatrice des collections de peinture chinoise au musée Guimet. Les nuances de l’encre noire – luisante, sombre, intense – l’intemporalité de ses compositions abstraites suggérant des paysages vus ou rêvés, remémorés, en font un classique, proche de l’enseignement des peintres de l’époque Song autant que de l’œuvre de Soulages. En 2015, une huile sur toile de 1964-1966, adjugée pour 311 640 euros chez Sotheby’s est acquise par le M+ Museum à Hong Kong. Il s’agit d’un record d’enchères pour une œuvre de T’ang Haywen qui a toujours conservé ses distances avec le succès. Au point de l’éviter ? Ce peintre voyageur – il a parcouru l’Europe et les États-Unis et a plusieurs fois séjourné à la Villa Médicis, accueilli par Balthus – n’a jamais bénéficié d’une véritable reconnaissance institutionnelle de son vivant. Dès 1958, il écrit à son frère : « J’ai trouvé ma vocation dans la peinture, c’est une affaire très grave, où il ne peut être question, honnêtement, de chercher la réussite pour elle-même… » Au cours des décennies 1970-1980, il expose dans les galeries, en Suisse, en Italie et en Allemagne. Mais, « T’ang n’a pas le souci de sa carrière », résume Philippe Koutouzis, ébauchant une explication : « Il est plus concerné par le bonheur que par le succès. » Victime du sida en 1991, il laisse derrière lui une œuvre construite dans l’exigence et l’allégresse, dont les vibrations sont intactes.

 

Bio express1927
Naissance en Chine, dans la province du Fujian
1948
Arrive à Paris. Dessine à l’Académie de la grande chaumière
1964
Peint « Hommage à Cézanne »
1967
Rencontre avec Balthus à la Villa Médicis
1968
Adopte le format diptyque pour ses lavis à l’encre
2015
Vente record chez Sothebys
1991
Meurt à Paris
À voir
« T’ang Haywen. Un peintre chinois à Paris »,
Musée des arts asiatiques Guimet, 6 place d’Iéna, Paris-16e, jusqu’au 17 juin.

Thématiques

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°775 du 1 mai 2024, avec le titre suivant : T’ang Haywen

Tous les articles dans Création

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque