Art contemporain

Richard Baquié

Par Amélie Adamo · L'ŒIL

Le 30 octobre 2018 - 637 mots

S’il acquiert au cours des années 1980 une certaine notoriété, s’il fut un temps acheté par l’institution, exposé, médiatisé, le travail de Richard Baquié, mort en 1996, est depuis tombé dans l’oubli.

Sort qu’il partage avec d’autres artistes de cette génération qui furent boudés par le même monde de l’art qui les avait un temps encensés. Un phénomène aux raisons multiples, généralement moins artistiques qu’idéologiques, politiques ou économiques. Aléas du marché et des stratégies du grand jeu de l’art contemporain qui fait et défait la visibilité d’une œuvre de façon aléatoire et souvent injustifiée si l’on en considère la seule qualité esthétique.

Mais cette mise à l’écart d’une certaine scène nationale n’a pas empêché l’œuvre de vivre, dans d’autres lieux, sous d’autres regards. Omniprésente dans le paysage artistique marseillais, attentivement regardée par certains artistes contemporains, l’œuvre de Richard Baquié revient aujourd’hui s’exposer dans de nombreux rassemblements collectifs et atteste de sa vibrante actualité : ainsi, par exemple, à la Biennale d’art contemporain de Rennes, aux côtés d’autres artistes internationaux, toutes générations confondues. Comme le soulignent les commissaires de l’édition 2018, Étienne Bernard et Céline Kopp, ce projet interroge de façon générale « la question de l’écriture des récits, notamment celui de l’histoire de l’art, de la visibilité ou de l’invisibilité, des politiques institutionnelles ». Il s’agit ainsi de réunir des « artistes qui ne sont pas forcément visibles sur une certaine scène officielle internationale mais qui n’ont jamais été oubliés sur d’autres scènes ou qui s’inscrivent dans une tradition locale, comme l’Afro-Américaine Senga Nengudi ou Kenzi Shiokava très marqué par l’histoire de Los Angeles après les émeutes de Watts ». De même concernant Richard Baquié, les deux commissaires rappellent que s’il « n’a pas été vu pendant un certain temps dans les institutions, en fait il est très présent pour un grand nombre d’artistes contemporains français qui ont regardé son travail et particulièrement à Marseille, sa présence n’a jamais été éteinte ».

Plus largement, l’œuvre de Richard Baquié continue de vivre en 2018 parce qu’elle résonne fortement par rapport au contexte international. À l’époque, son travail portait déjà un regard singulier sur l’état politique et économique d’un monde dont l’état de crise perdure. Ainsi par exemple, comme le soulignent les commissaires de la Biennale, de la question du climat, très présente dans l’œuvre de Baquié et qui trouve écho dans notre monde malade, un monde de transition, où l’on tente de sortir d’une économie carbone. De même avec la question de la perte du travail, de la diaspora et du déplacement des populations qui se retrouve dans les machines de Baquié faites d’éléments récupérés évoquant le voyage et le déplacement, telle la voiture ou le train.

Dans l’œuvre Epsilon (1986), qui n’avait pas été montrée depuis longtemps, les questions de déplacement des corps, du déchet comme corporéité, résonnent avec le travail d’artistes afro-américains exposés à la Biennale, tout comme le mot fugitif, présent dans la pièce de Baquié, est très utilisé aujourd’hui par ces mêmes artistes pour parler de leur condition. Si l’on considère ainsi l’aspect formel de ces autres démarches, comme celles de Senga Nengudi ou de Terry Adkins, certaines analogies les rapprochent du travail de Baquié : pratiques de l’assemblage, poésie inhérente à la récupération et au déchet. Enfin, tel que le révèlent les célèbres installations La Traversée du présent» (1985) ou Autrefois il prenait souvent le train pour travestir son inquiétude en lassitude (1984), l’art de Baquié est proche de la création actuelle en ce qu’il y réside l’interrogation d’une même vision non linéaire du temps, faite de contradictions et d’inversion des trajectoires. Une vision qui nous désoriente et remet en question notre appréhension du réel.

 

1952
Naissance de Richard Baquié à Marseille
1981
Diplôme des beaux-arts de Luminy
1991
Réalise sa dernière grande installation à la Biennale de Lyon, inspirée d’une œuvre de Duchamp
1996
Décès à Marseille
« À cris ouverts, Les ateliers de Rennes, Biennale d’art contemporain »,
jusqu’au 2 décembre 2018. Les œuvres de Richard Baquié sont visibles à la Halle de la Courrouze et au Frac Bretagne. www.lesateliers derennes.fr

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°717 du 1 novembre 2018, avec le titre suivant : Richard Baquié

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