Italie - Droit

Droit d’auteur

Polémique en Italie autour du droit d’auteur

Par Olivier Tosseri, correspondant en Italie · Le Journal des Arts

Le 11 septembre 2020 - 654 mots

ITALIE

Tony Gentile s’estime victime d’une loi archaïque sur le droit d’auteur. Il menace de détruire les négatifs de sa célèbre photographie.

Italie. Lorsque l’on regarde une photographie, qu’est-ce qui différencie la simple image de l’œuvre d’art ? La frontière est ténue et de la réponse souvent floue dépend la durée du versement d’éventuels droits d’auteur…

La mise au point des magistrats romains a été parfaitement claire concernant une célèbre photographie dans la mémoire collective italienne. Il s’agit du cliché représentant le juge anti-mafia Giovanni Falcone se penchant vers son confrère et ami Paolo Borsellino pour lui confier, tout sourire, quelque chose à l’oreille (voir ill.). Les deux hommes succomberont quelques semaines plus tard sous les bombes de Cosa Nostra. Le tout jeune photo-journaliste Tony Gentile immortalise, en 1992, cet instant de complicité au cours d’une conférence de presse.

Cette photographie devient immédiatement un symbole, celui de la justice en Italie, mais aussi l’icône des campagnes les plus diverses et variées pour la légalité. L’ayant utilisée, la chaîne de télévision RAI refuse de verser des droits à son auteur. L’affaire est donc portée devant les tribunaux et la réponse est sans appel : il s’agit d’une simple photographie et non d’une œuvre photographique. Dans le premier cas, les droits d’auteur s’éteignent au bout de vingt ans. Dans le second, ils durent, comme en France, jusqu’à soixante-dix ans après la mort de l’artiste. Les magistrats justifient leur décision en expliquant que ce cliché « ne se distingue pas d’autres par une créativité particulière et son auteur n’a pas fait le choix d’une lumière, d’un cadrage ou d’une pose particulière. Il s’agit juste du témoignage d’un moment de détente entre deux collègues. »

Colère des photo-journalistes

Il n’en fallait pas plus pour provoquer l’indignation de toute la profession solidaire avec l’un de ses plus éminents membres, Tony Gentile. « Puisque cette photographie ne vaut rien, il ne me reste plus qu’à détruire les négatifs », menace-t-il en voulant sensibiliser l’opinion publique. Peine perdue, celle-ci croule sous le flux permanent d’images dont la plupart sont reproduites sans la moindre autorisation. « Il faut une intervention rapide des institutions pour en débattre et clarifier cette question », réclame Tony Gentile qui déplore « une loi archaïque remontant à 1941 et qui n’est pas interprétée à l’aune de l’époque à laquelle nous vivons ».

Le jugement des magistrats romains a suscité un certain émoi, car c’est la mémoire historique transalpine de ces soixante dernières années qui serait ainsi effacée. Celles de Tony D’Amico sur les manifestations des années 1960, de Letizia Battaglia sur la Sicile des années 1970-1980 ou encore de Gianni Berengo Gardin sur les hôpitaux psychiatriques ou les navires de croisière géants encombrant la lagune de Venise. Autant de clichés qui ne peuplent pas uniquement l’imaginaire collectif des Italiens, mais aussi souvent leurs musées pour des expositions. Celle de Letizia Battaglia au MAXXI de Rome en 2017 avait d’ailleurs rencontré un très grand succès aussi bien public que critique.

« Photographs lives matter »

Tony Gentile voudrait créer un mouvement qui mette en évidence le problème du droit d’auteur et qui pourrait s’appeler Photographs lives matter. Il s’est entouré pour cela des plus grands experts italiens en la matière, à commencer par son avocat Massimo Stefanutti. Il a fait appel de la décision des juges romains auxquels il dénie le droit de définir ce qu’est ou non une œuvre d’art. « Chaque photographie doit être protégée, explique Massimo Stefanutti. En Angleterre, un cliché est considéré comme original s’il n’est pas copié ; en Allemagne, une simple photographie jouit pendant cinquante ans du droit d’auteur. Derrière un appareil photo, il y a toujours un homme qui regarde, qui voit, mais des lobbies veulent rendre les photographes invisibles. Une nouvelle loi sur le droit d’auteur est à l’étude en ce moment au Sénat, espérons qu’elle soit plus moderne que l’actuelle. » Pour Tony Gentile, il s’agit surtout du droit à la dignité pour l’ensemble des professionnels et des artistes de sa catégorie.

Thématiques

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°550 du 4 septembre 2020, avec le titre suivant : Polémique en Italie autour du droit d’auteur

Tous les articles dans Création

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque