PARIS
Philippe Bélaval vient d'être reconduit à la tête du Centre des monuments nationaux, qu'il préside depuis 2012.
Sans surprise, ayant tout juste atteint la soixantaine, Philippe Bélaval vient d’être reconduit à la présidence du Centre des monuments nationaux (CMN). Quand il a succédé à Isabelle Lemesle après sa démission forcée, en 2012, cet organisme qui gère une centaine de sites avait les allures d’un champ de ruines. Sa première mission fut de rétablir un dialogue social interrompu de longue date. Il aurait été difficile à Fleur Pellerin, qui a déjà beaucoup de mal à assurer les successions de l’École nationale supérieure des beaux-arts et de la villa Médicis, de ne pas le reconduire : il a su redonner confiance aux équipes défaites, éviter les écueils, conduire des chantiers symboliques, comme la restauration de la villa Cavrois ou l’ouverture au public du fort de Brégançon, et gagner la confiance de François Hollande en menant à bien la mission du Panthéon. C’est en effet à lui que le président avait confié la réflexion ayant conduit à l’entrée dans le sanctuaire des grands adversaires du nazisme. Après des années d’atermoiements, il a également réussi à lancer la restauration du monument qui souffre de graves problèmes structurels, ce qui ne sera pas une mince affaire de son nouveau mandat. D’autres soucis l’attendent, comme la dégradation du Mont Saint-Michel par la foule et le petit commerce réunis, problématique à laquelle il a accordé une attention soutenue ces derniers temps.
Le cœur à gauche
Ce parcours est d’autant plus remarquable qu’il agit sous un Gouvernement sans guère de considération pour le patrimoine. Autant qu’il peut faire porter sa voix, Philippe Bélaval est de ceux qui estiment nécessaire « de maintenir une politique patrimoniale dynamique même en période difficile ». Plongeant dans le territoire, il la voit comme un « acte de résistance contre les fanatiques qui cherchent à rabaisser un homme libre, conscient et créateur ». Outre qu’il les juge essentiels au « redéploiement de l’État dans les régions économiquement défavorisées », les Monuments historiques forment à ses yeux un creuset pour « les nouvelles générations, qui doit les ouvrir à la création et à l’altérité : entre l’obscurantisme et l’exploitation capitaliste, entre Daesh et Davos, il y a l’éducation, la culture et la jeunesse, autour du même combat pour la dignité ». Un discours qu’on aurait aimé entendre dans l’élan suivant les attentats de janvier, dans lequel la ministre de la Culture a été impuissante à donner de la voix. De même que le Gouvernement aujourd’hui se montre incapable d’articuler l’avenir du patrimoine dans ses deux grandes ambitions affichées, la préservation de l’environnement et la réforme territoriale.
Philippe Bélaval se dit aujourd’hui « très fier » de rempiler au CMN, qu’il voit comme un instrument « non seulement commercial mais aussi de mutualisation, ce qui est fondamental ; il ne s’agit pas là d’une gestion comptable, mais d’assumer un rôle profond au sein de la collectivité ». L’homme a le cœur porté à gauche, mais, lui qui a un faible pour les grands crus dit « croire davantage dans l’assemblage bordelais que dans les monocépages ». Il confie ainsi son estime des ministres des deux bords qui furent parmi ses mentors comme Jacques Toubon, Jean-Jacques Aillagon aussi bien que Jack Lang. À gauche, il se bat contre « l’assimilation du patrimoine à un passéisme », qui voudrait l’opposer au spectacle vivant. Une opposition stérile qui revient à chaque changement de majorité, laissant la défense du patrimoine aux plus conservateurs. En même temps, au sein du CMN, il encourage les manifestations d’art vivant, qui lui semblent indispensables à cette transmission d’un « héritage lui-même créé par nos ancêtres ». « Cet érudit est habité par les projets qu’il porte, c’est sa grande force », juge Jean-François Hébert, qui l’a croisé au ministère et ne lui tient apparemment pas grief de ses réserves envers la défunte Maison de l’histoire de la France.
Un passage dans les juridictions administratives
Cet élégant personnage, qui semble plus à l’aise dans les habits de conseiller du pouvoir que dans les rôles de premier plan, dévore les livres, passe ses soirées à l’Opéra, a restauré la collection de tableaux anciens de sa famille, chine de la porcelaine et fait rire son entourage en se prêtant à des imitations. Né à Toulouse, il y a aussi grandi. Tout jeune passionné d’histoire et de littérature, il se demande s’il n’a pas pris « le goût du papier » de son père, qui s’occupait d’une affaire de papeterie de gros – et le réprimandait quand il n’était pas le premier de la classe. Il a dû lui en rester une trace d’orgueil qui affleure sous son humour et son caractère affable. Il adorait visiter les châteaux en Angleterre, en Allemagne ou en Espagne. Également versé dans les langues (il en parle plusieurs, dont l’allemand, ce qui est rare dans la haute fonction publique), il s’est pourtant orienté vers le droit public : il a été ainsi plusieurs années président de cour d’appel administrative, à Bordeaux et à Versailles. Quand il a expliqué à ses professeurs toulousains qu’il escomptait préparer l’ENA, ils se sont esclaffés : à l’époque, il était difficilement pensable pour un provincial d’accéder à une telle grande école. À sa sortie, il fut admis au Conseil d’État, dans lequel il retrouvait son inclination pour « la modération, le professionnalisme et les valeurs universelles ».
Après un passage dans les cabinets ministériels, son entrée dans la gestion culturelle se fit à 35 ans quand on lui proposa de devenir directeur général du nouvel Opéra. Un peu inconscient de la lourdeur de la maison, petit poisson naviguant dans un banc de grands requins, il fut chargé de parachever la fusion des deux salles, le nouveau bâtiment de la Bastille et le palais Garnier. En août 1992, l’établissement secoué par une crise d’identité, aggravée par le drame de la chute d’un décor lors d’une tournée à Séville, il dut quitter son poste, convaincu que son expérience dans la culture n’y survivrait pas. Pourtant, en mars de l’année suivante, Jacques Toubon sut se souvenir de ses qualités de modérateur, puisqu’il lui proposa d’intégrer un groupe de travail, encore une fois pour rapprocher deux maisons : la Bibliothèque nationale de la rue Richelieu et ce qui s’appelait alors la « Très Grande Bibliothèque » en construction à Tolbiac. Jacqueline Sanson, qui a fait toute sa carrière à la BnF, s’en souvient comme d’« une mission de la dernière chance, qui a été menée dans les temps : quand le décret a été signé l’organigramme était en place. Ce n’était pas évident, il a su mettre beaucoup d’écoute, beaucoup de doigté – les deux parties pourraient vous le dire ». Elle « a gardé un souvenir très vif et très heureux d’un moment formidable, en tandem avec un administrateur qui a la fibre patrimoniale — ce qui n’est pas évident. Quand il est devenu directeur général des patrimoines, il n’a pas oublié qu’il fallait restaurer les façades de la bibliothèque Richelieu, qui avaient été oubliées ».
Crise aux Archives
Philippe Béléval eut moins de chance aux Archives, une mission dont il se souvient encore comme « très difficile ». Premier énarque nommé à ce poste, il prit grand soin d’associer les historiens à cette réflexion. Mais il n’a pas réussi lui-même à redonner à la politique archivistique l’ambition qu’il proposait dans un rapport rendu en 1998. S’inquiétant des effets de la décentralisation, il préconisait l’instauration d’une autorité centrale, sous l’égide du Premier ministre. Tout le monde lui est tombé dessus, ce qui a dû contribuer plus tard à lui conférer une certaine prudence… En fait, il subit le sort de ceux qui ont raison trop tôt. À sa démission, en 2000, les archives étaient dans une crise profonde. Mais pour Vincent Duclert, chercheur à l’École des hautes études en sciences sociales, il eut l’énorme avantage d’avoir relancé la réflexion sur les archives comme « objet politique » et instrument de la construction de la nation. L’analyse de Philippe Bélaval formait à son avis « l’approche la plus complète et la plus pertinente sur la situation des archives en France » (1). L’auteur résume ainsi ses propositions : « une loi sur les archives, une pensée pour les archives, une cité des archives ». Quinze ans plus tard s’ouvrait le site de Pierrefitte, qu’il a lui-même contribuée à promouvoir une fois revenu au ministère. En 2010, en effet, quand la fonction fut créée, il devint directeur général des patrimoines, une sorte de super-patron des monuments, des musées et des archives. L’idée au départ était d’alléger l’administration. Jamais en retard dans le dépôt d’une nouvelle bureaucratie, le ministère de la Culture en a profité pour ajouter une strate à l’empilement des fonctions, alourdissant la structure tout en multipliant les conflits internes. Miné par la guérilla entretenue par la directrice des musées, la dérive sentimentale de Frédéric Mitterrand et le désordre de son cabinet, Philippe Bélaval en a été la première victime. Sans vouloir entrer dans le détail, il reconnaît qu’il n’a pas « agi autant qu’il aurait pu » pour imprimer une marque sur une politique sans tête.
« Partout où il est passé, il a été regretté », témoigne Gennaro Toscano, directeur des enseignements à l’Institut national du patrimoine, dont Béléval a présidé le conseil d’administration. « Avec son charme britannique au léger accent toulousain, il a un respect des équipes dans le style de la vieille école. Il reçoit tout le monde, du gardien au conservateur. Il n’est pas un scientifique, mais il a un respect énorme pour la science, c’est très important aujourd’hui ».
(1) In « Les historiens et la crise des archives », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 2001/5.
1955 Naissance à Toulouse
1994 Directeur général de la Bibliothèque nationale
1998 Directeur des Archives de France
2010 Directeur général des patrimoines au ministère de la Culture
2012 Président du Centre des monuments nationaux
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Philippe Bélaval, portrait d’un gentleman
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Abonnez-vous dès 1 €Philippe Bélaval. © Photo : Didier Plowy/CMN.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°440 du 4 septembre 2015, avec le titre suivant : Philippe Bélaval, portrait d’un gentleman