Qatar

Nefertiti ou le syndrome de la lecture

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 11 décembre 2012 - 674 mots

À travers l’exemple égyptien, une exposition intelligente interroge la production de sens de l’œuvre d’art selon son contexte d’appréciation.

DOHA - Une œuvre d’art offre-t-elle des dispositions similaires selon qu’elle est regardée par son auteur, une institution muséale ou le spectateur ? Sa lecture et sa signification s’en trouvent-elles profondément modifiées selon le point de vue adopté et le contexte de réception ? Si la réponse à ces questions semble évidente, encore faut-il en proposer une démontration pertinente. C’est ce que réussit à faire, non sans finesse, l’exposition « Tea with Nefertiti » présentée par le Mathaf-Musée arabe d’art moderne, à Doha (Qatar).

Sam Bardaouil et Till Fellrath, les commissaires, dénouent certains fils conduisant à la perception et à la qualité de l’appréciation d’une œuvre choisie à partir de trois perspectives : l’artiste, le musée et le public. Ils le font en se plongeant dans l’art égyptien de diverses époques. Exemple avec l’image de Nefertiti, laquelle, photographiée dans un musée allemand par Candida Höfer (Neues Museum Berlin IX, 2009), n’a pas la même portée ni politique ni symbolique lorsqu’elle devient une source pour des artistes occidentaux tels Modigliani, Van Dongen ou Giacometti, ou plus récemment Vik Muniz enfermant une momie dans un sarcophage Tupperware !

La particularité de l’art égyptien est de charrier des torrents de clichés entretenant un tropisme exotique qui plaît à l’étranger. Ainsi, alors que le rapprochement de deux tableaux de Georges Hanna Sabbagh et de Maurice Denis évoque l’existence de liens entre les deux hommes, le travail de ce même Sabbagh (qui obtint la nationalité française) exécuté et exposé cette fois en France reste présenté comme égyptien. De même Mahmoud Mokhtar, une autre figure emblématique de l’art moderne égyptien, est-il qualifié de représentante de « l’art égyptien contemporain » lorsqu’il est exposé à Paris chez Bernheim Jeune, à Paris en 1930. Se greffe à la démonstration, sur certaines formes, une méditation politique sur l’insertion de l’art dans la sphère publique. Quand par exemple le buste de Nefertiti, encore lui, en vient à orner des machines à coudre produites sous Nasser et remises en scène par Ala Younis (Nefertiti, 2008), ou que Lorraine O’Grady reconnaît des traits de l’auguste modèle dans ceux de membres de sa famille… afro-américaine.

Ming, ou comment peindre l’histoire

C’est une très belle leçon de peinture qu’a délivrée Yan Pei-Ming à la QMA Gallery installée dans le centre culturel de Katara, à Doha ; une leçon de peinture d’histoire plus exactement. Son exposition « Painting The History » s’accroche opportunément au contexte de l’histoire politique du monde arabe, chroniquement instable, pour dériver vers une prise en compte de l’histoire mondiale et une réflexion sur l’assassinat politique et sa représentation.

Partant d’un grand mur couvert de 150 aquarelles en noir et blanc portraiturant des figures ayant influencé l’histoire arabe du XXe siècle, de Yasser Arafat à la chanteuse Fairouz en passant par Oussama ben Laden, l’artiste introduit un propos sur l’écriture de l’histoire qui se poursuit dans un second espace avec un triptyque figurant en trois teintes différentes la reprise de La Mort de Marat (1793) de Jacques Louis David. S’ensuit une section sur la mort politique au XXe siècle, avec dans une dernière salle une série de treize tableaux représentant des assassinats célèbres. Les modes de représentation varient, donnant à voir les cadavres de Robert Kennedy ou d’Aldo Moro, la voiture explosée de Rafic Hariri ou la veste ensanglantée de François-Ferdinand.

Ces images ont toutes été trouvées sur Internet et constituent un déplacement du témoignage et de la position de l’artiste, qui intervient bien après les photojournalistes et une large diffusion auprès du public.

TEA WITH NEFERTITI. THE MAKING OF THE ARTWORK BY THE ARTIST, THE MUSEUM AND THE PUBLIC

Jusqu’au 31 mars 2013, Mathaf, Arab Museum of Modern Art, Education City, Al-Luqta Street, Doha, Qatar, tél. 974 4402 8855, www.mathaf.org.qa, tlj sauf lundi 11h-18h, vendredi 15h-21h. Catalogue, éd. Bloomsbury Qatar Foundation Publishing, 254 p.

Commissariat : Sam Bardaouil et Till Fellrath

Nbre d’artistes : environ 150

Nbre d’œuvres : environ 40

Voir la fiche de l'exposition : Tea with Nefertiti

Légende photo

Ala Younis, Nefertiti, 2008, installation, Courtesy de l'artiste. © Photo : Ahmed Kamel.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°381 du 14 décembre 2012, avec le titre suivant : Nefertiti ou le syndrome de la lecture

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