En matière de biodiversité, les études se succèdent et se ressemblent. Selon la plupart des chercheurs, nous serions en effet entrés dans la sixième ère d’extinction de masse des espèces.
Une crise du vivant liée pêle-mêle au changement climatique et à l’artificialisation effrénée des milieux naturels par les activités humaines, agriculture notamment. Cette éclipse de la nature coïncide avec les progrès spectaculaires de la biologie de synthèse et de la manipulation du vivant. Tandis que des espèces meurent en même temps que disparaît leur biotope, d’autres s’inventent ou s’hybrident in vitro dans les laboratoires, dans les serres et élevages intensifs, dans les champs d’OGM et aussi, parfois, dans les salles d’exposition. Jusqu’au 27 septembre, le Domaine départemental de La Roche-Jagu propose ainsi à ses visiteurs de parcourir un double jardin virtuel, conçu spécialement par Miguel Chevalier dans le cadre de l’exposition « Des hommes et des plantes qui soignent ». On s’y promène d’abord dans un sous-bois fait d’arbres, d’arbustes, de brindilles et de feuilles. Projeté sur un écran de fils blancs, ce paysage génératif et interactif évolue au gré de nos déplacements. Empruntées pour certaines d’entre elles aux formes végétales existantes, les « arborescences digitales » dont il se compose semblent réalistes, à cela près que leur architecture, poussant l’analogie entre systèmes vivants et numériques, s’inspire des arborescences et organisations de données informatiques. Derrière l’écran de fils blancs, un second « paradis artificiel » a été aménagé. Significativement nommé « Trans-natures 2015 », il consiste en un parterre de fleurs projeté au sol et capable de réagir à la présence humaine. Pour parfaire l’immersion du spectateur, un parfum « 100 % naturel et biologique » créé par Jean-Charles Sommerard baigne l’installation. Sa fragrance ajoute au trouble qui saisit chacun face à cette nature entièrement simulée.
Les « paradis artificiels » de Miguel Chevalier présentés à La Roche-Jagu ne sont pas un coup d’essai : des « sur-natures » (2007) aux « fleurs fractales » (Fractal flowers, 2014), la relation entre une nature quasi introuvable et sa recréation artificielle via les ressources du numérique est l’un des leitmotive de l’artiste. « Ces jardins sont bien le reflet de notre monde actuel où la nature est de plus en plus conditionnée, explique-t-il […]. Nous sommes bien dans une ère de l’après-nature ou d’une transnature, où nature et artifice coexistent et s’enrichissent mutuellement. » En dépassant ainsi l’opposition classique entre nature et artifice, la démarche de Miguel Chevalier suggère qu’il entre nécessairement (et plus que jamais) une part de fiction, d’imaginaire, dans toute représentation du monde naturel. Il esquisse aussi une issue possible à l’effondrement du vivant. Si la nature n’existe plus, alors c’est peut-être en dernière analyse à la technologie qu’il appartiendra de la recréer, sinon de la réinventer au gré de nos fantaisies…
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Natures numériques
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Abonnez-vous dès 1 €jusqu’au 27 septembre 2015. Domaine départemental de La Roche-Jagu (22).
wwww.larochejagu.fr
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°682 du 1 septembre 2015, avec le titre suivant : Natures numériques