En quelques sculptures et une large sélection graphique méconnue, le Musée de Grenoble revient sur la théâtralité violente et ambivalente de l’œuvre de Juan Muñoz.
GRENOBLE - Accrochés au mur, trois fauteuils sans assises portent autant de personnages, en résine de couleur grise, comme suspendus entre les accoudoirs et le vide. Les visages sont identiques, les expressions similaires, grimaçantes et comme déformées par le rictus qui suit l’accomplissement d’une blague réussie. Le spectateur est troublé en découvrant les détails de la mise en scène, d’autant plus que la figure de gauche porte à la main un masque qui ne représente rien d’autre que le propre visage du (des) personnage(s).
Exposée pour la première fois au public, Trois masques assis au mur (2000) sonne comme une synthèse redoutablement maîtrisée des contingences essentielles de l’art de Juan Muñoz (Madrid, 1953-Ibiza, 2001), où la figuration s’avère souvent être le point de départ d’une narration, d’un véritable scénario propice au développement d’une sourde violence psychologique. Une violence d’autant plus efficiente qu’elle est servie par une ambivalence qui souvent fait osciller la perception du motif entre bienveillance et menace. Comme dans la sculpture Première main courante (1987), ou une belle rampe fixée au mur porte à son revers un couteau, potentiellement dangereux, qui contredit la séduction du bois verni. Ou encore dans ces dessins où une femme aux traits de Maria Callas, se maquillant face à son miroir, est interpellée par un homme à l’allure de Luchino Visconti. Il semble vouloir la tuer, mais ses gestes peuvent parfois être interprétés comme relevant de la tendresse (Sans titre, 2000).
Au-delà de l’incongruité de la scène, Trois masques assis au mur s’avère également perturbante en ce qu’elle théâtralise par le jeu du double, avec une grande simplicité de moyens et un maximum d’effets, la question du miroir et par-delà de notre accès à l’image. Interrogations récurrentes chez un artiste fort préoccupé par les problèmes de la perception, de « l’acte de regarder » et du doute qui s’ensuit.
Le Ventriloque regardant son double intérieur (1988-2000) plonge, en effet, le regard dans un abîme de perplexité, face à une marionnette qui contemple en marmonnant un même intérieur, envisagé selon des points de vue opposés, tracé à la craie sur deux toiles noires. Point final du parcours, Plusieurs fois (1999) voit un vaste espace envahi par cent figures toutes différentes dans leurs costumes et leurs postures, mais possédant une tête identique de Chinois chauve et souriant. Comme si l’artiste – qui dans un entretien avec Paul Schimmel affirmait que « [s]es personnages se comportent parfois comme des miroirs sans reflet. Ils sont là pour dire quelque chose sur la relation à notre image, mais ils ne le peuvent pas, parce qu’ils ne nous laissent pas nous voir » – avait voulu mettre en scène une paradoxale diversité sans diversité, qui altérerait profondément la sagacité du regard.
Cette exposition est en outre l’occasion d’aborder amplement, grâce à la présentation de quelque quatre-vingts dessins, dont beaucoup sortent de l’atelier pour la première fois, la dimension graphique de l’œuvre de Muñoz, rarement exposée jusque-là. Loin d’être annexe ou seulement préparatoire, cette pratique régulière fut très importante pour l’artiste. « Un travail fait pour lui, qui même s’il n’était pas montré, constituait une fin en soi », assure Guy Tosatto, directeur du Musée de Grenoble.
Un travail qui permet la mise en perspective de son univers où la menace semble toujours latente, mais où l’on hésite parfois entre le réel danger et la farce. L’inquiétude est toutefois palpable sur des visages déformés ou singulièrement absents ou tourmentés. La violence parfois se manifeste dans des scènes d’agression. L’ambiguïté est toujours à l’œuvre, avec des oscillations entre le beau et le laid, et des oppositions entre le raffinement et un caractère plus brut et direct.
Le plus souvent exécutés à la craie grasse, les contours n’en sont jamais précis, mais l’aisance de Muñoz est palpable dans la sûreté du trait et la profondeur qui émane de ses personnages, dont parfois le seul visage est perdu dans un vaste fond neutre. Le regard sur la condition humaine est aride, mais l’énigme, qui souvent transparaît, aide, ainsi que le disait l’artiste, à « faire prendre conscience que quelque chose ne va pas. »
Jusqu’au 28 mai, Musée de Grenoble, 5, place de Lavalette, 38000 Grenoble, tél. 04 76 63 44 44, www.mu seedegrenoble.fr, tlj sauf mardi 10h-18h30. Catalogue co-éd. Actes Sud/Musée de Grenoble, 174 p., 39 euros, ISBN 978-2-7427-6649-9. - Commissaire : Guy Tosatto, directeur du Musée de Grenoble - Nombre d’œuvres : 93 - Surface d’exposition : 1 000 m2
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Mon beau miroir…
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°256 du 30 mars 2007, avec le titre suivant : Mon beau miroir…