Art contemporain

Michel François au kaléidoscope

Par Anne-Charlotte Michaut · L'ŒIL

Le 25 avril 2023 - 1109 mots

À Bruxelles, une vaste « rétro-prospective » consacrée à Michel François présente plus de quarante ans de création indisciplinée. Une exposition pensée comme une « œuvre d’art totale » et une plongée dans l’univers du plasticien belge aussi prolifique que singulier.

Absence de style et ambivalence

L’ambivalence est au cœur du travail de Michel François, qui a fait des mouvements contradictoires ou de l’alliance des contraires une démarche artistique en soi. À rebours d’une recherche de style, il s’agit plutôt d’un travail de manipulation, de mise en tension entre organique et synthétique, légèreté et pesanteur. Le véritable défi de son travail est, selon ses propres termes, de « créer ou de révéler la vie à partir de l’inerte ; réconcilier l’inconciliable, la biologie et le synthétique, composer des alliages contre-nature, des amalgames hétérogènes ». Pour preuve, son utilisation de matériaux divers, « pauvres », naturels et qui pourrissent, ou synthétiques et polluants. Sans contraintes d’ordre esthétique ou stylistique, il cherche plutôt à faire frictionner les contraires et s’attache souvent à créer des protocoles. Ainsi, la série des enroulements, qu’il a débutée en 1991 et toujours en cours, procède de la répétition d’un geste, comme une sorte de mantra. Malgré l’introduction d’un achoppement pour venir perturber la régularité, celle-ci se réinstalle forcément. Pour Michel François, « l’élaboration d’un protocole a pour but de libérer la matière, de lui offrir une forme de mobilité ou de créativité, malgré ses contraintes physiques intrinsèques. C’est par rapport à ces contraintes qu’une possible transgression peut avoir lieu. C’est cela qu’il faut rendre tangible ! » En témoignent les Splashes de bronze, des œuvres abstraites qui sont en réalité le résultat d’une réaction thermique spontanée lorsque le métal en fusion tombe au sol. Pour Michel François, tant que le procédé de création a été respecté, le résultat est secondaire. Il s’agit de perdre le contrôle et de renoncer à l’autorité du matériau.

Un art politique

Michel François affirme avoir l’habitude de s’attaquer à des « sujets réputés intraitables, avec lesquels l’art n’a pas grand-chose à faire, comme la guerre. » Il souhaite ainsi « insuffler, introduire une possibilité d’allègement à ces sujets très lourds ». En témoigne notamment la salle intitulée « Théâtre des opérations » à Bozar, au milieu de laquelle flotte un drapeau blanc de manière autonome. Le dispositif technique complexe et volumineux qu’il a fallu mettre en place pour obtenir ce résultat est exhibé, comme pour souligner la complexité de l’entreprise suggérée par le drapeau, à savoir la paix. Autour se côtoient d’autres œuvres se référant aux conflits et à la situation géopolitique actuelle, comme une photo de presse représentant un homme déguisé en animal pour passer une frontière, ou un motif d’apparence abstraite creusé dans le mur. En réalité, ces lignes sont une retranscription des points de conflit entre les forces armées en Syrie. Cette œuvre, réalisée à la scie circulaire, fait de la cimaise un martyr et la poussière au sol, issue du processus de création, achève de conférer à l’œuvre des allures de champ de bataille. Éminemment politique, son travail traite également de la surveillance et du contrôle des corps par la société avec de nombreuses références, plus ou moins explicites, à l’univers militaire ou carcéral. L’exposition « Contre nature » s’ouvre ainsi sur une installation présentant un panoptique inversé, les miroirs jouant ainsi des reflets des spectateurs, mais également des grandes vidéos installées autour, tournées récemment en Azerbaïdjan et qui représentent des bulles de gaz qui se forment à la surface de volcans de boue.

« Recyclage » de ses propres œuvres

Michel François réutilise ses œuvres pour chaque exposition, en les réarrangeant différemment, à l’image de son atelier dans lequel dialoguent des œuvres sans hiérarchie, comme le souligne François Piron dans son texte du catalogue de l’exposition. Michel François touche à tout, s’empare de matériaux divers et traite de sujets tout aussi variés, avec toujours une attention portée à la cohérence entre les pièces et une conscience aiguë de la charge politique de son travail. Ses œuvres et séries sont comme les éléments d’un grand vocabulaire de formes et d’images, qui se développe constamment et dont les éléments sont articulés de manière différente à chaque fois. L’artiste affirme aimer l’idée de « recomposer des choses avec la même structure », pour créer de nouvelles perspectives, réactiver les œuvres en les laissant se contaminer par de nouvelles associations de matériaux, supports, échelles, images, etc. Parce que « recycler n’est pas la même chose que conserver », précise l’artiste, c’est par l’interaction et la confrontation des œuvres dans l’espace que son travail s’appréhende.

L’importance de la scénographie

Pour celui qui considère le musée comme une « coquille vide » et l’exposition comme « un squat, l’occupation momentanée d’un territoire », la scénographie occupe une place primordiale. C’est toujours en relation avec l’espace dans lequel il s’inscrit que Michel François pense la présentation et l’agencement de ses œuvres. Pour « Contre nature », il a dû travailler avec le Palais des beaux-arts conçu par Victor Horta, un lieu à l’identité forte et dont la succession de salles, avec parquet et moulures, est caractéristique des maisons bourgeoises du début du XXe siècle à Bruxelles. Il a d’abord travaillé à l’aide d’une maquette à l’échelle, avant de s’installer dans l’espace pour trois semaines consécutives de montage. Pour l’artiste, qui considère l’espace d’exposition comme « le prolongement physique et mental de l’atelier », le temps de l’installation est primordial et constitue un « acte créatif » en soi.

Les collaborations artistiques

Michel François a grandi dans une atmosphère artistique, auprès de son père peintre et de sa mère sculptrice et danseuse. Dès son plus jeune âge, il a commencé à bricoler des petits objets dans l’atelier de son père. Il a ensuite étudié le théâtre et est sorti diplômé de l’École de recherche graphique à Bruxelles. Si on lui demande de se définir en tant qu’artiste, Michel François répond, légèrement agacé, qu’il « fait des sculptures ». Il fait pourtant bien plus que ça, en s’emparant de (presque) tous les médiums et supports possibles dans son travail, mais également en collaborant régulièrement avec d’autres artistes, des plasticiens, des cinéastes, des écrivains ou des chorégraphes. Il a tenu à associer certains de ses plus fidèles collaborateurs et collaboratrices à cette carte blanche à Bozar, parmi lesquels l’artiste Ann Veronica Janssens, le réalisateur Loïc Vanderstichelen et la chorégraphe Anne Teresa De Keersmaeker. Quelques présentations d’une réadaptation d’En atendant, un ballet créé en 2010 avec cette dernière pour le Festival d’Avignon, complète la programmation pensée par Michel François pour « Contre nature ».

 

1956
Naissance à Saint-Trond (Belgique)
1992
Participation à la documenta IX, Cassel
1999
Représente la Belgique à la 48e Biennale de Venise avec Ann Veronica Janssens
2009
« Plans d’évasion » , exposition monographique au SMAK de Gand et à l’IAC de Villeurbanne (69)
2023
Exposition « Contre nature » , à Bozar (Bruxelles)
« Michel François. Contre nature »,
jusqu’au 21 juillet, Bozar, Palais des beaux-arts, rue Ravenstein 23, Bruxelles (Belgique). Tous les jours sauf le lundi. Tarifs : 14 et 7 €. www.bozar.be

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°764 du 1 mai 2023, avec le titre suivant : Michel François au kaléidoscope

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