Marta Gili

Directrice du jeu de paume, Paris

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 30 novembre 2007 - 1484 mots

La directrice du Jeu de Paume Marta Gili veut construire d’une main ferme des résonances entre maîtres anciens et contemporains. Portrait d’une réaliste volontaire.

Poignée de main énergique et franc-parler chaleureux. La directrice du Jeu de Paume, Marta Gili, tranche avec la froideur de son prédécesseur, Régis Durand. Cette Catalane échappe tout autant aux chapelles d’un milieu photographique plutôt vachard. Sa spontanéité ne rime toutefois pas avec une quelconque familiarité. Plus qu’un quant à soi, elle veille à préserver une distance. Histoire de garder les idées claires. Structurée, elle l’est tant et si bien qu’un mot revient en leitmotiv : articuler.
Née en 1957 à Barcelone, cette aînée de cinq enfants, fille d’un pasteur protestant, porte bien son prénom. Elle est résolument la Marthe de la parabole biblique, cette femme de bon sens qui s’affaire dans le réel, face à Marie la contemplative. « Quand on est l’aînée, on prend des initiatives, on est le leader, on essaye de mener les choses à bon port », admet-elle. Pendant ses études de psychologie, elle travaillera à mi-temps dans une école de photographie. Aimant emboîter les expériences, elle usera de ce médium dans son activité de psychothérapeute. Au bout de quatre ans, elle délaisse la thérapie pour s’immerger définitivement dans la photo, en collaborant à Primavera fotografica, à Barcelone, l’équivalent catalan de notre Mois de la photo, tout en s’adonnant à la critique d’art.

« Trou institutionnel »
C’est précisément un article acerbe dans El País sur une exposition de la Caixa qui lui vaudra d’être engagée par la Caisse d’épargne catalane. La direction de l’institution l’appelle, lui demande d’argumenter sa critique. Séduite, elle lui propose en 1988 d’organiser des expositions à la Sala Arcs à Barcelone, avant de lui confier trois ans plus tard la direction du département photographique. « Après une période de trou institutionnel en Espagne, Marta est la première personne à avoir normalisé la scène artistique hispanique avec des expositions de niveau international », rappelle l’artiste Jordi Colomer. Elle dose alors intelligemment les monographies grand public comme Richard Avedon et Henri Cartier-Bresson, avec un axe contemporain fort, notamment vidéo, avec Doug Aitken et Tracey Moffat. « On ne peut pas demander toujours au public de faire un effort, convient Marta Gili. Il faut l’accompagner, essayer de faire en sorte qu’il trouve des points de reconnaissance. Il ne faut pas ignorer qu’on travaille pour les gens. »
Ses relations avec les artistes se conjuguent sur le même registre qu’avec ses autres interlocuteurs. « Elle n’est pas dans le traitement de faveur ou le copinage, n’a pas le côté bande, écurie, pas plus qu’elle n’est dans un jeu de génération », souligne Fabienne Fulchéri, en charge cette année du Programme satellite au Jeu de Paume. Fuyant les grandes machineries esthétiques, Gili s’intéresse à l’image comme outil de compréhension du monde. « Elle aime les artistes qui parlent du monde qui les entoure, de manière décalée, sans le souci de l’actualité, avec une vision critique, militante mais subtile », poursuit Fabienne Fulchéri. Gili joue d’ailleurs sur cette ambiguïté en signant avec Jean-Pierre Rehm, directeur du Festival international du documentaire de Marseille, l’exposition « Fictions documentaires » à la Caixa en 2004. Même les rétrospectives des pionniers de la photographie ne se conçoivent pas comme des théâtres de sacralisation. « Ce qui m’intéresse dans une exposition historique, c’est ce qu’elle me dit aujourd’hui et pour demain », précise-t-elle. De fait, le contexte, aussi bien en termes de lieu que de situation, prime. Le thème de la fragilité, qu’elle choisit pour sa prestation au Printemps de Septembre à Toulouse en 2002, n’est dès lors pas anodin dans une ville meurtrie l’année précédente par l’explosion de l’usine AZF.
Le « contexte » ne joue toutefois pas toujours en sa faveur. Un changement de direction au sein de la Caixa la pousse vers la sortie. « Le nouveau directeur était très réactionnaire, refusait les artistes contemporains, cherchait un côté plus “communication”. Je ne pouvais pas concevoir des expositions comme des spectacles », indique-t-elle. Après une guerre des nerfs, elle est renvoyée pour insubordination. Gili serait-elle batailleuse ? « Elle suit ses idées, est têtue mais raisonnable. Si elle sait depuis le début qu’une chose n’est pas dans son champ d’action, elle ne s’y attaque pas », affirme Agnès Sire, directrice de la Fondation Cartier-Bresson à Paris.

Droite dans ses bottes
Régis Durand, son ancien compagnon, la pressent pour lui succéder à la tête du Jeu de Paume. Son arrivée fut toutefois précédée d’un imbroglio absurde comme la France en a le secret. Alors que sa candidature est soutenue par le président de l’institution, Alain-Dominique Perrin, le ministre de la Culture et de la Communication Renaud Donnedieu de Vabres sort de son chapeau une concurrente de dernière minute, Catherine Grenier. Déconcertée par ce bras de fer politique, Marta Gili fait le dos rond, s’enferme à Barcelone et construit son année sans attendre un arbitrage qui tarde à venir.
En prenant finalement les commandes du navire en septembre 2006, elle hérite d’un organe hybride, née de l’addition artificielle de trois structures, et d’une équipe traumatisée par une fusion lourde et un manque de communication avec le précédent directeur. Droite dans ses bottes, Marta Gili active la cadence. « Elle est très énergique, presque inépuisable. Elle donne une impulsion. Parfois les gens ne sont pas habitués à fonctionner avec des délais si courts », indique Marta Ponsa, responsable des projets artistiques au Jeu de Paume. Bien qu’elle travaille sans hystérie, son rythme à la cravache lui vaut quelques grognes internes. « Elle est sursollicitée par plein de petites choses. Au Jeu de Paume, les gens sont habitués à plus de tutelle, remarque un proche. Elle tranche sans donner forcément trop d’explications, qui ne viennent qu’après coup. Marta a l’impression que si elle n’impose pas les choses, elles ne se font pas, et elle a raison. Elle met la pression, et tout le monde ne le supporte pas. Parfois, il faudrait qu’elle soit plus diplomate. » Ses collaborateurs pointent néanmoins ses qualités humaines. « Elle est curieuse, attentive à l’autre. En travaillant, on est submergé par les nécessités, les difficultés et l’urgence, et en dépit de ça, il y a chez elle une vigilance, un sens du détail », défend Jean-Pierre Rehm. S’accommodant des règles, elle se révèle même rassurante pour ses commanditaires. « Elle est autonome, sérieuse et rigoureuse. Il suffit de lui donner les clés, le budget, deux trois fondamentaux par rapport au lieu, aux attentes du public et du partenaire, et elle monte sa programmation tranquillement », relève Marie-Thérèse Perrin, présidente de l’association du Printemps de Septembre. Pragmatique, elle s’avère même prête à rectifier ses premières positions. Est-ce à dire que la révolution escomptée sera finalement modérée ? « C’est par des petites décisions qu’elle va au fur et à mesure changer le fonctionnement du Jeu de Paume », observe Maria Inés Rodriguez, commissaire de la prochaine édition du Programme satellite. Les « petites décisions » passent d’abord par une phase de travaux, améliorant notamment le confort dans la salle de cinéma. Pour l’heure, elle écluse encore la programmation de son prédécesseur. Quitte à avaler certaines pilules comme Pierre et Gilles… Les expositions qui porteront sa griffe, comme Jordi Colomer à l’automne 2008, ou Sophie Ristelhueber et William Kentridge en 2009, se révèlent plus monographiques que thématiques. « Avec la “festivalisation” de l’art contemporain, on a des gros sujets poétiques, bien intentionnés qui sont seulement illustrés par les œuvres, explique-t-elle. Ce qui m’intéresse, c’est l’œuvre elle-même. » Sa trame apparaît par incise, avec la mise en place du Programme satellite. La première fournée, avec « UltralabTM », donne le ton en « contaminant » tel un virus l’exposition « Steichen, une épopée photographique ». « Ma stratégie sera de trouver des passerelles entre les expositions historiques et contemporaines, explique Marta Gili. Le Jeu de Paume a eu une histoire tellement dense, changeante, imposante que c’est devenu un lieu sacralisé. C’est pour cela que j’ai créé le Programme satellite. Il s’agit de dire que cet espace n’est pas un temple et que Steichen n’est pas Dieu. Lui-même cassait les règles. » L’idée de résonance se décline aussi dans le programme lancé en décembre à l’Hôtel Sully pour confronter le fonds de la médiathèque de l’architecture et du patrimoine avec ceux d’autres collections. « Mon idée du service public, c’est de donner une visibilité à ces photographes, et ne pas diffuser ces images par obligation, remarque-t-elle. Je veux qu’elles disent quelque chose. » Marta Gili ou la quête du sens.

Marta Gili en dates

1957 Naissance à Barcelone 1983 Psychothérapeute 1983-88 Co-organisatrice de Primavera Fotografica 1991 Directrice du Département photographie et arts visuels à la Fondation la Caixa à Barcelone 2002 et 2003 Directrice artistique du Printemps de Septembre, à Toulouse 2006 Nomination à la direction du Jeu de Paume 2007 Exposition « Steichen, une épopée photographique » et « UltralabTM » jusqu’au 30 décembre

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°270 du 30 novembre 2007, avec le titre suivant : Marta Gili

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