Pinocchio a envahi les deux espaces de la galerie Daniel Templon, à Paris. Jim Dine (né en 1935) y a répandu une série d’œuvres sur ce thème : des sculptures de bois, de grandes tailles, impressionnantes de rugosité, et de nombreux travaux sur papier.
Quand et pourquoi avez-vous commencé à travailler sur le thème de Pinocchio ?
Cela m’a pris longtemps pour l’amener à la vie en tant qu’œuvre. J’ai vu le film de Walt Disney quand j’avais six ans, à sa sortie. Disney l’a rendue plus légère, mais c’est vraiment une histoire très forte, particulièrement si vous avez déjà menti. Vers 1969, j’ai trouvé une petite poupée, très belle, qui datait de l’époque du film. Elle avait de vrais vêtements, une tête en papier mâché peinte à la main, ses bras pouvaient bouger comme ceux d’une marionnette. Je l’ai toujours gardée avec moi, souvent installée sur une étagère de livres, l’emmenant parfois lors de mes voyages. Je ne savais pas quoi en faire, mais elle me plaisait. En 1994, un dirigeant des studios Disney m’a appelé pour me dire qu’il voulait pour ses nouveaux bureaux deux œuvres de moi et Roy Lichtenstein. Je me suis dit « super, peut-être est-il temps de donner naissance à Pinocchio ? » J’ai donc fait un tableau de près de 8 mètres de long, en trois panneaux. C’était une peinture très sombre et perturbante. Elle ne lui a pas plu, il ne pouvait pas vivre avec. Je l’ai donc récupérée et gardée à l’atelier, et de là, j’ai commencé à plus explorer Pinocchio lui-même. Il émergeait, il sortait de l’image pour moi.
Avez-vous envisagé ce travail comme une sorte de retranscription de l’histoire ?
L’histoire elle-même est si effrayante ! Si vous lisez la version originale de Carlo Collodi, c’est une telle métaphore de l’art. Ce garçon, avec cet énorme bâton sur le visage, c’est comme de l’alchimie, c’est comme faire de l’or avec de la merde. Et je me suis moi-même beaucoup identifié à Pinocchio. Puis, en continuant à réfléchir à ce thème, j’ai commencé à tailler, comme Gepetto. Je suis devenu tailleur de bois pour permettre à Pinocchio d’essayer de se distinguer. Et tout cela a évolué au cours des ans, pas tant dans l’idée de traiter du personnage perdu, mais plutôt pour essayer de faire un garçon qui riposterait à la vie, qui pourrait se débrouiller seul. Je peux lui donner tant d’émotions. Je peux presque faire de l’abstraction avec lui. C’est pour moi un merveilleux invité.
Cette histoire est-elle aussi un moyen d’explorer l’inconscient ?
Oui, cela à beaucoup à voir avec l’inconscient. Et pas seulement l’histoire, mais aussi l’acte de faire de nouvelles sculptures est inconscient. Je les commence, les démonte, les taille, les repeins, je peins les visages, parfois ce visage éclate car il est en bois, etc. Toutes ces choses sont inconscientes. L’artiste peut intervenir, or il ne peut pas les maîtriser. C’est comme la vie, vous ne pouvez pas la contrôler.
L’esthétique des pièces, particulièrement les sculptures qui sont brutes et très fortes, est-elle une manière de rendre l’histoire encore plus sombre ?
Je ne pense pas la rendre plus sombre, elle l’est suffisamment. Non, c’est simplement parce que c’est moi. Quelqu’un d’autre aimerait sans doute le faire différemment. Mais c’est aussi un portrait de moi ; je suis sombre et rugueux !
Parmi les sculptures, plusieurs pièces semblent traiter de la punition…
Vraiment ? Je n’y ai absolument pas pensé consciemment, mais j’accepte cette lecture. C’est vrai qu’il a été beaucoup puni. C’est un long et douloureux voyage pour lui.
L’usage de ce conte ancien et effrayant est-il pour vous une sorte de métaphore du monde contemporain ?
Je ne sais pas, car je ne comprends pas le monde contemporain, vraiment. Je recherche une universalité et parfois une déclaration, or je ne connais rien du monde contemporain. Je ne m’aventure pas à suivre le monde de l’art, car je ne suis pas un suiveur dévoué à la mode. Le monde de l’art contemporain ne me semble pas parler de poésie, mais de mode. Et j’attends de la poésie.
En utilisant pour ce thème tant d’échelles et de techniques différentes (bois, métal, œuvres sur papier, lithographies, etc.), il semble que vous essayez d’épuiser votre sujet ?
Je ne l’ai pas assez épuisé, car je crois que les possibilités sont sans fin, et j’aime travailler. Je ne sais pas ce que sont les limites, parce que je ne viens jamais à bout des techniques que j’utilise. Je n’ai jamais pensé que j’avais réalisé tout ce que je pouvais faire, et je ne crois pas que j’y parviendrai un jour. S’il n’y a rien que je puisse faire, ça ne va pas. Je travaille avec mes mains, comme Gepetto, c’est mon plaisir. Ce plaisir de créer
Jusqu’au 27 mai, Galerie Daniel Templon, 30, rue Beaubourg, 75003 Paris, tél. 01 42 72 14 10, www.danieltemplon.com, tlj sauf dimanche 10h-19h.
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Mai 2008 : Jim Dine
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°281 du 9 mai 2008, avec le titre suivant : Mai 2008 : Jim Dine