PARIS - Astucieusement, car à rebours de ce que l’on pourrait attendre d’un « Prix Marcel Duchamp » (1), Cyprien Gaillard a aligné dans l’Espace 315 du Centre Pompidou, à Paris, ses « Geographical Analogies », sous la forme muséographique d’une centaine de vitrines renfermant chacune un ensemble de neuf polaroïds.
Complété pour l’occasion, ce travail entamé en 2006 et poursuivi depuis lors (2) documente photographiquement divers types de ruines, anciennes, modernes ou contemporaines. À l’instar de Robert Smithson, qui n’aimait rien tant que les chantiers, carrières abandonnées et terrains vagues, Cyprien Gaillard arpente sans relâche le monde à la recherche de ces ruines postindustrielles, présentes ou à venir, que sont Brush Park à Detroit (Michigan) ou Benidorm en Espagne, pour constituer son étrange et fascinant Atlas. Ici des barres d’immeubles en voie de démolition sont, au même titre que des sites précolombiens ou des architectures de l’ère soviétique dans l’ancien Bloc de l’Est, prises en tant que sculptures ; tous vestiges d’un autre temps qui est aussi le nôtre.
Anachronisme
Entre les neuf fragments qui composent chaque « planche » d’images, entre chaque planche également, se créent des liens formels touchant à l’Histoire, la géologie ou l’archéologie. Et si la plupart de ces sites, marqués par des processus d’érosion, de dégradation ou d’enfouissement, sont combinés de manière anachronique, l’artiste affirme chercher un « point d’équilibre », « une harmonie » dans le paysage. Les images, qui ont subi dès la prise de vue une rotation de 45 °, sont présentées sur leur pointe ; cette disposition en losange, à la Mondrian, vient jouer avec l’orthogonalité du sujet (verticalité des bâtiments et ligne de l’horizon) et structure la composition.
Beaucoup moins riche métaphoriquement apparaît la série de présentoirs à enjoliveurs que l’artiste a rapportée de Lima. Ces Structures péruviennes répondent de manière à la fois hâtive et compassée aux photographies comme à la tête sumérienne empruntée au Musée du Louvre et subtilement insérée dans le mur. Elles semblent avoir surtout pour principale fonction de remplir l’espace, y trônant en son centre comme pétrifiées. On reviendra toutefois sur le beau diptyque de plaques dressé à l’entrée : l’une, en marbre, est incrustée de fossiles ; l’autre est une vitre issue de la démolition du Forum des Halles commencée en 2010. Elles portent les initiales « U » et « R », d’après « Underground Resistance », label de musique techno, laquelle prit sa source dans la ville aujourd’hui dévastée de Detroit. Ces deux lettres référent également à « Urban Renewal », programme de rénovation urbaine de la fin du XIXe en Europe et aux États-Unis. Mais elles se lisent aussi « Ur », du nom de cette cité de la Mésopotamie antique devenue un camp de l’armée américaine.
(1) décerné par l’Adiaf, l’Association pour la diffusion internationale de l’art français.
(2) Les « Geographical Analogies » ont été exposées en 2009 au Frac Champagne-Ardenne à Reims, où elles ont fait l’objet d’une publication, aujourd’hui épuisée (coéd. Kunsthalle Fridericianum, Cassel/Kunstalle Basel, Bâle/Museum für Moderne Kunst, Frankfurt, JRP Ringier, Zurich).
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Les métaruines de Cyprien Gaillard
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Abonnez-vous dès 1 €Jusqu’au 9 janvier 2012, Centre Pompidou, Espace 315, place Georges-Pompidou, 75004 Paris, tél. 01 44 78 12 33, tlj sauf mardi 11h-21h.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°355 du 21 octobre 2011, avec le titre suivant : Les métaruines de Cyprien Gaillard