Au Palais de Tokyo, l’artiste japonais élabore des scénarios catastrophes comme autant d’alertes sur l’état de notre monde.
PARIS - « Avec cette exposition, Hiroshi Sugimoto souhaite tuer l’image de l’artiste comme simple créateur de beauté… Il veut faire apparaître un nouveau Sugimoto », confie le directeur du Palais de Tokyo Jean De Loisy. Devenu célèbre par ses photographies noir et blanc où le temps suspend son vol, cet artiste japonais (né en 1948) propose ici une installation gigantesque qui plonge le visiteur dans une ambiance post-apocalyptique. Une sorte de manifeste à la fois esthétique et politique.
Inspiré par l’architecture aux allures de ruines du sous-sol du Palais de Tokyo et son potentiel fictionnel, l’artiste a imaginé trente-trois scénarios de fin de l’humanité. Soit trente-trois histoires sur la disparition de l’homme de la surface du globe racontées par un personnage type (un paléontologue, un historien de l’art, un apiculteur, un esthète, un homme politique…). Chaque scénario a été écrit à l’encre sur des feuilles blanches posées ou collées sur les murs et autour desquelles sont mis en scène des objets issus de la collection de l’artiste. Ce dernier avait déjà exposé sa collection digne d’un cabinet de curiosité, comprenant des objets aussi variés que des fossiles, des météorites, des pierres cunéiformes, un costume Noh, des gravures… Mais là, il injecte une nouvelle vie dans ces objets qui deviennent les pièces à conviction d’histoires imaginaires. S’ajoutent à cela des photographies de l’artiste (dont celles prises dans des musées de cire, qui ont été endommagées dans son atelier par l’ouragan Sandy) ainsi que divers objets récupérés ici et là à l’instar de cadavres d’ordinateurs, de boîtes de soupe Campbell ou de poupées Barbie. Le parcours s’apparente ainsi à une forme d’errance parmi les vestiges de l’humanité.
Un monde fragile
Dès la première salle, plane l’ombre de Marcel Duchamp comme pour revendiquer une filiation avec ce père de l’art conceptuel et affirmer la primauté de l’idée sur le plaisir rétinien. Devant un mur en tôle ondulée en haut duquel se dresse une statue de Kaminari-sama, le dieu shintoïste du tonnerre, un alambic rempli d’un air pur qui aurait disparu de la planète rappelle Air de Paris. Bien d’autres clins d’œil ponctuent le parcours comme le portrait de Duchamp par Man Ray, un porte-bouteilles, un urinoir renversé par une météorite tombée du ciel ou encore la mise en scène d’une poupée gonflable qui évoque le dispositif de la série « Étant donné : le Grand Verre ».
À travers la naïveté de ses scénarios et l’humour de ses mises en scènes, Sugimoto nous invite à l’examen de nos consciences face à un monde devenu fou. Du déclin du bouddhisme à l’échec des idéaux sociaux et politiques, en passant par la disparition des abeilles et l’extinction du désir entre hommes et femmes ou par l’absurdité de la guerre, évoquée par une vitrine terrifiante montrant des documents d’archives sur la bombe atomique lâchée sur le Japon, l’artiste pointe la fragilité de notre monde.
Commissaire : Akiko Miki
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Les 33 fins du monde de Sugimoto
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Abonnez-vous dès 1 €Jusqu’au 7 septembre, Palais de Tokyo, 13, avenue du Président Wilson, 75016 Paris, mercredi-lundi 12h-00h, www.palaisdetokyo.com.
Légende photo
Vue de l'exposition monographique de Hiroshi Sugimoto « Aujourd'hui, le monde est mort », dans le cadre de la saison « L'Etat du Ciel », Palais de Tokyo, Paris. © Photo : André Morin.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°416 du 20 juin 2014, avec le titre suivant : Les 33 fins du monde de Sugimoto