Pologne - Architecture

Le nouveau visage de Varsovie

Par Christian Simenc · L'ŒIL

Le 27 janvier 2014 - 1458 mots

VARSOVIE / POLOGNE

Ville-phénix par excellence, Varsovie, qui fut détruite durant la Seconde Guerre mondiale, voit son visage radicalement transformé grâce à l’architecture contemporaine.

Comme si cette période lui collait désespérément à la peau, on débarque à Varsovie en remontant le temps. Depuis les hublots de l’avion, juste avant l’atterrissage, ou une fois au sol par la vitre du taxi qui vous mène au centre-ville, le regard ne peut échapper à l’une des pâtisseries emblématiques de la reconstruction soviétique d’après-guerre : le Palais de la culture et de la science. Dressé sur une vaste esplanade – la place des Défilés (sic !) –, ce gigantesque bâtiment façon Gotham City flanqué de ses inévitables statues de « héros socialistes » est un cadeau (empoisonné) de Staline au peuple polonais. Dessiné par l’architecte russe Lev Roudnev et achevé en 1955, il est le plus haut édifice de la ville (231 m) et dispose, au trentième étage, d’une plate-forme d’observation offrant un panorama exceptionnel sur la capitale. Loué par les uns, honni par les autres, le monument le plus controversé de la cité est pourtant devenu, par la force de la toise, un point de repère incontournable de la skyline varsovienne. Même si, depuis l’an passé, il se fait allègrement voler la vedette par un édifice élancé et flambant neuf planté à quelques pas : la tour Zlota 44 dessinée par l’Américain Daniel Libeskind, 192 m de haut. Et elle n’est pas la seule. Depuis une vingtaine d’années et la chute du communisme, les gratte-ciel poussent à un rythme effréné. Ainsi en est-il, depuis quelques mois aussi, de cette tour légèrement en porte-à-faux, la Cosmopolitan Twarda 2/4 de l’Allemand Helmut Jahn, 160 m. Enfin, en août prochain, un énième gratte-ciel devrait pointer le bout de son nez, la Warsaw Spire [« Flèche de Varsovie »] du cabinet belge Jaspers-Eyers, qui devrait culminer à 220 m.

La maison la plus étroite du monde
Bref, l’architecture contemporaine dessine peu à peu un nouveau visage à Varsovie, « la » ville-phénix dont près de 84 % des bâtiments avaient été détruits pendant la Seconde Guerre mondiale. Hormis les « vieux quartiers », reconstruits pierre par pierre à l’identique, la structure générale de la cité – plus d’1,8 million d’habitants, huitième ville européenne – affiche plutôt une absence totale de plan d’urbanisme. Pour le visiteur, la déambulation sera donc d’autant plus libre, avec nombre de surprises à la clef, architecturales ou artistiques, tel cet insolite palmier de 15 m de haut planté depuis 2002 sur l’artère principale, l’Aleje Jerozolimskie [avenue Jérusalem]. Cette œuvre de l’artiste polonaise Joanna Rajkowska baptisée Salutations de l’avenue Jérusalem a été conçue par des entreprises hollywoodiennes spécialisées dans les décors de cinéma. À l’origine provisoire, la pièce ravit tellement les Varsoviens que la mairie a décidé de l’acquérir et de la conserver telle quelle.

Ouvert en avril 2013, pour le soixante-dixième anniversaire du soulèvement du ghetto de Varsovie, le Musée de l’histoire des Juifs polonais (Anielewicza 6), évidemment construit sur le site symbolique de l’ancien ghetto, est signé des Finlandais Ilmari Lahdelma et Rainer Mahlamäki. Derrière une façade de verre se déploie un impressionnant intérieur de béton ondulé couleur de la terre d’Israël. L’ouverture de la très attendue présentation permanente sur 1 000 ans de présence juive en Pologne est prévue pour l’automne 2014.

Les fans de villas modernistes ne manqueront pas de sillonner le quartier de Żoliborz et, sur l’autre rive de la Vistule, celui de Saska Kępa. Tandis que les amateurs d’ovnis architecturaux, eux, opteront pour un étrange bâtiment coincé entre deux immeubles existants, à l’angle des rues Żelazna (74) et Chłodna (22). En 2012, le Polonais Jakub Szczesny a édifié ce qu’il annonce comme « la maison la plus étroite du monde » : la Dom Kereta House, du nom de son premier occupant, l’écrivain israélien Etgar Keret. Largeur de l’édifice : 1,22 m. Cette performance constructive qui inclut, sur deux niveaux, cuisine, salle de bains, bureau et coin couchage, est destinée à devenir une résidence d’artiste.
Autre construction insolite : Warszawa Powiśle, une amusante billetterie des chemins de fer polonais construite dans les années 1950 par Arseniusz Romanowicz et Piotr Szymaniak et aujourd’hui transformée en bar branché. Son impressionnant toit circulaire la fait illico ressembler à une soucoupe volante. Dans ce même quartier Powiśle est implanté, depuis 1999, un autre bâtiment emblématique tout habillé de cuivre : la bibliothèque de l’université. Œuvre des architectes Marek Budzyński et Zbigniew Badowski, elle renferme plus de deux millions de livres et dispose, sur le toit, d’un invraisemblable jardin d’un hectare qui offre des vues splendides sur, d’un côté, la ville, de l’autre, la Vistule et le pont Świętokrzyski et sa forêt de câbles blancs, laquelle est subtilement mise en lumière la nuit. Car Varsovie se veut désirable dans l’obscurité également, grâce à une vieille coutume de l’enseigne lumineuse dont il reste encore de-ci, de-là des traces. Sur la place de la Constitution, à l’angle de la rue Koszykowa, un gigantesque néon montre une sportive en maillot de bain lançant un ballon, lequel dégringole le long du pignon de l’immeuble sur lequel il est installé. Un reste de cette fameuse culture « néoniste » qui réchauffa la ville à l’heure de la guerre froide.

Musée d’art moderne
Exception à la règle, ce musée créé en 2005 porte bien mal son nom, car il n’exhibe en réalité que l’art… contemporain. À quelques pas du Palais de la culture et de la science, il s’est installé avec bonheur dans les murs d’un ancien grand magasin de meubles réputé à l’ère communiste, Emilia. Le visiteur remarquera d’ailleurs l’ancien néon-écriture toujours installé sur le toit. Depuis son ouverture, la collection s’est enrichie de plus de 200 pièces d’artistes contemporains polonais et étrangers, dont Piotr Uklanski, Jonathan Horowitz, Oskar Dawicki ou Goshka Macuga (Muzeum Sztuki Nowoczesnej, Pawilon Emilia, ul. Emilii Plater 51).

Galerie Zacheta
Dressé en bordure du jardin Saski, ce bâtiment du XIXe siècle quasi épargné par la Seconde Guerre mondiale arbore, en son sein, de splendides salles aux plafonds moulurés, et accueille aussi bien des artistes renommés internationaux (Louise Bourgeois, Niki de Saint Phalle…) que la fine fleur des créateurs polonais. Quoiqu’elle n’organise que des expositions temporaires, notamment de photographie, la galerie possède néanmoins une collection permanente où l’on retrouve des œuvres de piliers du XXe siècle comme Tadeusz Kantor et Alina Szapocznikow, mais aussi des artistes actuels tels Katarzyna Kozyra ou Krzysztof Wodiczko (ZachÄ™ta Narodowa, plac. MaÅ‚achowskiego 3).

Musée du néon
Logé dans la Soho Factory, usine désaffectée du quartier alternatif de Praga, ce musée est né en 2012 à l’initiative de la photographe Ilona Karwinska, aujourd’hui directrice, qui décida un jour, in extremis, de sauver de la décharge ces enseignes lumineuses qui ornaient façades et devantures de Varsovie pendant les années 1960 et 1970. En ces temps (peu bénis) de la guerre froide, bars, théâtres, hôtels, restaurants et autres dancings sont ainsi devenus les premiers clients d’une multitude de graphistes inventifs Neon (Muzeum, Soho Factory, ul. Minska 25, ul. Budynek 55).

Musée de l’affiche
La renommée de la fameuse « école polonaise de l’affiche » n’est plus à faire. Apparu à la fin des années 1950, sous le régime communiste, le graphisme fut d’ailleurs l’une des rares formes d’art tolérées, permettant à moult artistes d’échapper aux diktats du réalisme socialiste. Ouvert en 1968 et installé dans l’ancien manège du château de Wilanów, ce musée fait autorité avec sa collection de 82 000 affiches – l’une des plus grandes au monde –, présentées par roulement. Aux côtés des légendaires Roman CieÅ›lewicz, Jan Lenica, Wiktor Gorka, Tadeusz Gronowski et Tomaszewski s’impose la nouvelle génération des Ryszard Kaja, MaÅ‚gorzata Gurowska, Lech Majewski, Ryszard Kajzer… (Muzeum Plakatu, ul. StanisÅ‚awa Kostki Potockiego 10/16).

Le musée qui n’existe pas (encore)
On sait le design graphique essentiel en Pologne. Il est, en revanche, un pan du design polonais moins connu et pourtant impressionnant : celui des objets et des meubles. Ainsi, le Musée national de Varsovie détient-il une collection qu’il ne peut malheureusement montrer, hormis dans des expositions temporaires, faute d’un lieu exclusivement dédié. En tout : plus de 23 000 meubles et objets datant du début du XXe siècle jusqu’à aujourd’hui. Cet incroyable fonds dort donc, pour l’heure, à Otwock Wielki, à une trentaine de kilomètres de Varsovie, dans les anciennes écuries du Palais Bielinski. Réservée aux chercheurs, une simple visite suffit pour juger de ces trésors, notamment des années 1950 et 1960. D’étonnants sièges (Jan Kurzatkowski, Roman Modzelewski, Maria Chomentowska, Teresa Kruszewska), des céramiques virtuoses (Anton Kenar, Lubomir Tomaszewski), des verreries (Wszewlod Sarnecki, WiesÅ‚aw Sawczuk), moult textiles imprimés et joyeusement stylisés (Krystyna Policzkowska-GaÅ‚ecka, Aleksandra Michalak-LewiÅ„ska, Alicja Wyszogrodzka, Danuta Paprowicz-Michno), sans compter des bijoux ou des jouets. Le très attendu « Musée du Design » sortira-t-il, un jour, des cartons ?

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°665 du 1 février 2014, avec le titre suivant : Le nouveau visage de Varsovie

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