Né de la collecte passionnée d’un des pionniers de la photographie, le Musée du fer, installé dans une église à Rouen, est aujourd’hui la plus riche collection au monde de ferronnerie ancienne. L’exposition «Â González/Picasso : une amitié de fer » est l’occasion de le (re)découvrir.
Berceau de l’impressionnisme, Rouen peut par ailleurs s’enorgueillir d’un autre titre : celui de capitale internationale du fer ! La cité normande conserve en effet la plus riche collection au monde de ferronnerie ancienne. Un patrimoine précieux et singulier composé de seize mille objets de l’Antiquité au XXIe siècle, déployés dans une muséographie atypique et poétique. Depuis 1921, le Musée Le Secq des Tournelles accueille ainsi ses visiteurs dans une église médiévale, désacralisée à la Révolution. Cet écrin a été façonné par son fondateur Henri-Jean Le Secq des Tournelles (1854-1925) et a farouchement conservé son atmosphère originelle. Musée particulièrement attachant, il est le fruit de la passion d’une dynastie de collectionneurs avant-gardistes, des collectionneurs qui ont compris très précocement l’intérêt plastique et la valeur patrimoniale de ces objets, à une époque où ils étaient dénigrés.
Collecteur de père en fils
Tout commence dans les années 1850. Artiste éclectique formé à la peinture et à la sculpture, Jean-Louis-Henri Le Secq des Tournelles (1818-1882), dit Henri Le Secq, devient alors un des pionniers de la photographie en France. Avec une poignée de ses confrères, il est engagé par Prosper Mérimée, inspecteur général des Monuments historiques, pour le projet de la mission héliographique. Au cours de cet inventaire photographique du patrimoine hexagonal, Henri Le Secq se découvre une passion pour la ferronnerie ancienne. Il commence à collecter des pièces en fer lors de ses campagnes en région. Progressivement, il ramasse également des tonnes d’objets dans le vieux Paris, sur les chantiers des grands travaux d’Haussmann. Des objets à l’époque considérés comme des rebuts et promis à la décharge sans son intervention. Rapidement, il transmet le virus de la collecte à son fils Henri-Jean qui poursuivra son œuvre après son trépas.
Henri-Jean reprend ainsi le flambeau de manière totalement frénétique. Outre la collecte, il écume inlassablement les marchés aux puces et les brocantes. Ses contemporains observent avec circonspection cet homme, pourtant aisé, dont les vêtements sont toujours tachés de graisse et qui trimbale perpétuellement de la quincaillerie. « Il faisait plus figure de clochard que de riche collectionneur d’antiquités », note l’un d’entre eux. S’il a hérité de son père le goût pour la ferronnerie, Henri-Jean développe une approche sensiblement différente. Alors que son paternel traquait le chef-d’œuvre, la pièce exceptionnelle, lui a une conception plus scientifique. Tel un entomologiste cherchant à posséder un spécimen de chaque espèce, il veut donner à ce fonds une dimension encyclopédique en illustrant toutes les catégories et typologies d’objets en fer, des plus modestes aux plus spectaculaires, qu’il s’agisse de fer forgé, moulé ou encore orfévré. Ce souci d’exhaustivité concerne aussi la couverture chronologique et géographique. Ainsi, si la France demeure le pays le mieux représenté, le musée possède également des pièces provenant d’Angleterre, d’Allemagne, d’Espagne, d’Italie ou encore de Russie.
Le temple du fer
La qualité et la diversité de sa collection sont rapidement connues et Henri-Jean est même sollicité pour présenter ses fleurons lors de l’Exposition universelle de 1900. Ce fonds rencontre un succès phénoménal et tape dans l’œil de Louis Metman, conservateur aux Arts décoratifs qui lui propose de l’exposer dans le pavillon de Marsan. Mais compte tenu de sa taille, la collection s’y retrouve vite à l’étroit. Ayant des attaches familiales en Normandie, Le Secq entre en contact avec la ville de Rouen à qui il propose de donner sa collection, à condition toutefois qu’il puisse l’installer lui-même dans un lieu suffisamment spacieux pour l’accueillir dans sa totalité.
Ce sera chose faite en 1921 quand le Musée Saint-Laurent est inauguré. « Les visiteurs abondent, les ferronniers d’art trouvent des sujets d’étude, les amateurs des sensations artistiques », jubile-t-il. Jusqu’à sa disparition quatre ans plus tard, il en sera le conservateur. On prétend même qu’il aurait dormi dans le lit placé dans le chœur de l’église, lit en fer forgé évidemment ! Après l’ouverture, il poursuit encore ses acquisitions tout en affinant l’accrochage. Au centre de l’édifice, il installe ses trésors ; les coffres, heurtoirs et éléments de serrurerie investissent le saint des saints, la nef. Nef dans laquelle sont par ailleurs suspendues de pittoresques enseignes et la célèbre crèche-lanterne.
Autre temps, autres mœurs : depuis peu, la nef est en outre drapée d’un grand rideau métallique signé Vladimir Skoda. Les collatéraux et l’étage sont quant à eux organisés par typologies. On y trouve de vastes ensembles concernant la parure de la personne et de la maison, le repassage et les objets de couture, les objets de l’âtre et de la cuisine, sans oublier l’éclairage ou encore la chirurgie. La muséographie, jouant sur un parti pris accumulatif, renforce encore le charme et la nostalgie d’une époque révolue où des pièces aujourd’hui extraordinairement banales faisaient l’objet d’un soin et d’un raffinement suprêmes.
Lanterne magique
Le musée abrite par ailleurs une kyrielle d’objets insolites : une impressionnante prothèse de main de la Renaissance, un énigmatique masque d’infamie et même le plus ancien podomètre de l’histoire. Sans oublier cette belle lanterne magique représentant un magot. Typique du goût pour les chinoiseries du siècle des Lumières, elle affiche une vision pittoresque et fantasmée de l’Extrême-Orient. Elle permet de projeter sur un écran une image agrandie via l’objectif placé sur le ventre du personnage.
Entrée de serrure
Ensemble phare du musée, la serrurerie est représentée par quelque 2 500 pièces. Ce fonds, particulièrement riche et homogène, retrace l’histoire et l’évolution des styles et des formes des clés, serrures et cadenas en Europe du Ier au XIXe siècle. Surtout réputé pour ses pièces antiques et médiévales et pour les clés de maîtrise, exécutées par les maîtres serruriers pour intégrer la corporation, le fonds conserve également de nombreuses entrées de serrure extrêmement originales et graphiques.
Enseigne de cabaret "chauve-souris"
Avant d’être un élément décoratif, l’enseigne avait une fonction purement pratique. Elle permettait en effet au citadin de s’orienter car la numérotation des rues n’a été systématisée que sous Napoléon Ier. Le musée conserve environ deux cents enseignes anciennes d’auberges, de pharmacies, de fleuristes ou encore de cabarets. À l’instar de cette étonnante chauve-souris, véritable devanture en néon avant l’heure. L’animal est en effet pourvu d’une panse en verre pouvant accueillir une source lumineuse.
Coffre dit de Nuremberg
Entré dans les collections en 2010, cet objet s’est rapidement imposé comme l’un des fleurons du musée. Il faut dire que le coffre de Nuremberg combine avec élégance prouesse technique et qualités esthétiques. Ce massif coffre d’apparat du XVIIe est doté d’un abondant décor végétal de style rocaille. La serrure en façade est un leurre, destiné à tromper les voleurs ; la véritable serrure est bien dissimulée. Sa clé actionne simultanément dix-huit pênes, répartis sur tout le pourtour du couvercle.
La Fondation pour l’art Almine et Bernard Ruiz-Picasso décide d’ouvrir, pour la première fois au public, le château de Boisgeloup, résidence et atelier de Picasso de 1930 à 1936, dans le Vexin. Les visiteurs pourront ainsi découvrir pendant quatre samedis, en avril et en mai, une exposition des œuvres de Joe Bradley dans les anciennes écuries de la propriété, lieu de création de la plupart des grandes sculptures du maître, lorsqu’il était avec Olga. www.fabarte.org
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Le Musée Le Secq des Tournelles
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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°700 du 1 avril 2017, avec le titre suivant : Le Musée Le Secq des Tournelles