Après une restauration d’ampleur fidèle à l’esprit de sa fondatrice Nélie Jacquemart, le musée rouvre ses portes avec une exposition des chefs-d’œuvre de la Renaissance italienne.
Il y a fort à parier que quatorze mois après la fermeture du Musée Jacquemart-André, la première chose que remarquent ses visiteurs soit le nouveau pavement de la cour. Un détail pas si superficiel, car les petits cailloux qui jalonnaient jadis le sol représentaient un véritable danger. Poussiéreux en été, boueux en hiver, ils se transformaient par temps pluvieux en patinoire. Quand le musée ouvre en 1913, le sol est alors recouvert de sable. Un matériau justifié par la présence de chevaux in situ, et admirablement ratissé par une armada de domestiques. Il faut dire que quand Nélie Jacquemart-André (1841-1912) lègue son hôtel particulier et sa collection, elle ne se doute pas un instant que ce lieu intimiste deviendra un jour un des musées les plus courus de la capitale. Du vivant de ses propriétaires, cette somptueuse maison bâtie par Henri Parent sur le tout nouveau boulevard Haussmann attire pourtant déjà le Tout-Paris qui vient admirer la collection de ce couple de philanthropes hors norme. Selon la formule consacrée, rien ne destinait Édouard André et Nélie Jacquemart à se marier : Édouard André est en effet un richissime héritier tandis que Nélie Jacquemart est une portraitiste d’origine modeste. Dandy passionné de peinture contemporaine et d’arts décoratifs, il est le patron de la prestigieuse Gazette des beaux-arts et le président de l’Union centrale des arts appliqués à l’industrie. Le parcours de sa promise est bien différent de celui de ce parangon de la réussite financière et culturelle du XIXe siècle. Nélie, fille d’un marchand de couleurs et de papiers peints, a été, dans des circonstances qui demeurent mystérieuses, élevée par les Bourdon de Vatry. C’est grâce à l’appui de cette famille mondaine qu’elle développe ses talents artistiques, se formant auprès de Léon Cogniet, puis se perfectionnant à Rome à la villa Médicis. Un coup de pouce décisif car elle y fraie avec des artistes dans le vent et agrandit son cercle de connaissances en côtoyant de grands bourgeois qui feront sa carrière. Dès l’âge de 22 ans, Nélie participe ainsi au Salon où elle expose essentiellement des portraits salués par la critique. C’est sa fréquentation assidue de la haute société qui la conduit à épouser l’un des plus beaux partis de la capitale, pourtant en bien mauvaise passe. Édouard, malade et sous la coupe d’une courtisane sans scrupule, voit sa famille orchestrer un mariage arrangé avec Nélie.
Cette union de convenance débouche étonnamment sur un mariage heureux cimenté autour d’un objectif commun : créer une grande collection destinée au public. Doté de moyens presque illimités et d’un goût sûr, le couple sillonne l’Europe, tout particulièrement l’Italie qui les fascine. Ils rapportent un tel trésor que l’atelier de Nélie se mue rapidement en musée italien, tel qu’on le connaît encore. Cet espace hors du temps avec ses meubles et ses éléments d’architecture intégrés au décor et ses pépites d’Andrea Mantegna, Giovanni Bellini ou encore Donatello, s’inspire de la Galerie florentine Bardini où ils se fournissent, mais aussi du Musée Poldi Pezzoli inauguré en 1881, à Milan, dans une demeure de collectionneurs. L’Italie n’est qu’une de leurs nombreuses destinations car leurs pérégrinations les mènent aussi en Espagne, au Caire, à Saint-Pétersbourg ou encore à Istanbul. Invariablement, ils rentrent avec des malles chargées d’œuvres d’art et d’idées de présentation. Leurs achats sont, comme il se doit à l’époque, éclectiques et guidés uniquement par leur curiosité. L’hôtel particulier se remplit ainsi de tableaux hollandais, de tapisseries, d’une foule d’objets décoratifs, de peintures du siècle des Lumières et même de fresques décrochées des parois de palais vénitiens. La disparition de son époux en 1894 ne coupe pas Nélie dans son élan ; elle poursuit jusqu’au soir de sa vie ses périples en vue de concrétiser leur rêve de musée. En 1912, elle lègue ainsi à l’Institut de France tous ses biens afin qu’il transforme sa demeure en musée destiné « aux études de ceux qui se dévouent à l’art et à son histoire ». Dans son esprit, le musée s’adressait à une poignée d’amateurs triés sur le volet. Jamais elle n’aurait pu imaginer qu’il accueillerait plus de 400 000 visiteurs par an. En quelques mois, le site est entièrement réaménagé par son premier conservateur Émile Bertaux qui rationalise l’accrochage. Mais le musée ne rencontre pas son public puisqu’il est inauguré un an avant la Grande Guerre. Sa fermeture marque un coup d’arrêt car son style est jugé par la suite démodé et il est très rarement ouvert. Les quelques fois où il l’est, c’est pour être totalement vidé afin d’abriter des expositions temporaires. La maison-musée souffre d’un long désintérêt, elle n’est d’ailleurs classée qu’en 1978, et traverse des années difficiles jusqu’à sa reprise en mains dans les années 1990. Rénovée, elle est réaménagée dans l’esprit de sa fondatrice. Ses œuvres et ses décors attendaient toutefois encore une ample restauration. C’est désormais chose faite au terme d’un chantier de 6,5 millions d’euros qui lui rend son atmosphère et ses couleurs d’origine.
Les chefs-d’œuvre de la Galerie Borghèse
Dans le paysage muséal parisien, le Musée Jacquemart-André s’est taillé une solide réputation grâce à ses formidables collections, mais aussi avec ses ambitieuses expositions temporaires. Sa marque de fabrique : alterner monographies de grands maîtres et découvertes de prestigieuses collections particulières. Pour sa réouverture, l’établissement frappe fort en accueillant les trésors du plus beau musée de Rome : la Galerie Borghèse. Faute de place, les immenses marbres baroques du palais italien n’ont pas fait le voyage. Toutefois le musée, fermé pour travaux, a été particulièrement généreux puisqu’il prête une quarantaine de tableaux et de petites sculptures. Cet ensemble exceptionnel, articulé autour de la figure du cardinal Scipion Borghèse, présente le meilleur de la peinture italienne : Raphaël, Titien, Botticelli, ou encore Parmigianino. Le public parisien peut également admirer un des tableaux les plus célèbres du Caravage, le très sensuel Garçon à la corbeille de fruits.
Isabelle Manca-Kunert
« Les chefs-d’œuvre de la Galerie Borghèse »,
Musée Jacquemart-André, 158, boulevard Haussmann, Paris-8e, jusqu’au 5 janvier 2025, www.musee-jacquemart-andre.com
Espace emblématique du musée, le grand escalier a lui aussi bénéficié de travaux conséquents. Si la fresque de Giambattista Tiepolo était en bon état, car restaurée il y a vingtaine d’années, tout le reste de cet espace nécessitait une lourde intervention. Les marbres, les faux marbres, les stucs et les dorures ont été restaurés, reconstitués ou restitués en fonction de leur état de conservation. La grande verrière a également fait l’objet d’un nettoyage minutieux qui rend à ce jardin d’hiver toute sa splendeur.
Intervention la plus lourde, la restauration du fumoir est spectaculaire. La pièce était en mauvais état et des éléments du plafond commençaient même à tomber. Il a été entièrement restauré ainsi que la totalité des œuvres et objets réunis dans cet espace placé sous le signe de l’éclectisme. La pièce jadis verte a retrouvé ses couleurs du XIXe siècle, un rouge profond typiquement fin de siècle. Le fumoir a par ailleurs été réaménagé et de nouvelles œuvres anglaises ont été accrochées.
Parallèlement à la restauration du musée, l’éclairage a été entièrement refait et un vaste chantier de collections lancé. Plusieurs marchés ont été ouverts pour restaurer les grandes tapisseries et les tableaux les plus emblématiques, tels que les peintures d’Antoon Van Dyck et Rembrandt. Cet ambitieux projet, financé par la Fondation Jacquemart-André, devrait durer quatre années. Parallèlement, les réserves ont été vidées pour être mises aux normes, étudier les collections et envisager d’éventuels dépôts.
Pièce préférée du public, elle se dévoile sous un tout autre jour. Le plafond de Tiepolo, qui était bruni de crasse, a été nettoyé pour la première fois depuis son installation en 1896, et délesté des ajouts maladroits des décorateurs de l’époque qui avaient largement retouché la fresque pour dissimuler les raccords entre les différents morceaux. Le plafond a ainsi retrouvé toute sa fraîcheur et sa profondeur tandis que la pièce a été remise dans ses couleurs d’origine, une sorte de gris beige très élégant.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Le Musée Jacquemart-André retrouve son lustre
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°778 du 1 septembre 2024, avec le titre suivant : Le Musée Jacquemart-André retrouve son lustre