Metz - Cette chronique a eu beau multiplier les scénarios, elle n’avait encore jamais envisagé celui-ci : et si, en 2050, l’art disparaissait ?
Imaginez : au mitan du siècle, un règlement menace d’interdire purement et simplement les œuvres d’art. Avant qu’un autodafé n’en consacre la destruction, quatre-vingts d’entre elles peuvent être sauvegardées au sein d’un musée transnational à l’existence précaire. De même que dans Fahrenheit 451 de Ray Bradbury, les bibliophiles sauvent la littérature du désastre en apprenant les livres par cœur, en devenant des « hommes-livres », de même il faut trouver un moyen de préserver et de transmettre aux générations futures ce qu’aura été l’art moderne et contemporain… Cette dystopie constitue le point de départ d’« Un musée imaginé : et si l’art disparaissait » au Centre Pompidou-Metz. La salle inaugurale de l’exposition suggère d’emblée ce qu’il y a de plausible dans un tel scénario : une série de documents y récapitule une histoire de l’iconoclasme qui court d’Alexandre le Grand à la destruction des bouddhas de Bâmiyân par les talibans. Une photographie de Paul Almasy, prise au Louvre en 1942, frappe tout particulièrement : elle montre une succession de cadres vides au lieu des chefs-d’œuvre exposés en temps ordinaire sur les murs du musée parisien…
À Metz, la possibilité de voir l’art à nouveau menacé de disparition permet de réaffirmer à la fois son apport à la société et le rôle que joue l’institution dans sa mise en lumière. Rassemblant les collections de la Tate, du MMK Francfort et du Centre Pompidou, l’exposition convoque Duchamp, Opalka, Pistoletto, Jimmy Durham, Philippe Parreno ou Louise Bourgeois et déroule sept sections thématiques qui toutes répondent à ces simples questions : pourquoi l’art contemporain mérite-t-il d’être sauvé ? Qu’est-ce qui en rend la fréquentation si essentielle dans nos vies et dans nos sociétés ? Les réponses du musée pointent tour à tour la capacité de la création à transfigurer le banal (Fischli et Weiss, Robert Malaval, Spoerri, etc.) à opérer une distance critique avec le flux d’images dont nous abreuve la société de l’information (Kruger, Warhol, etc.), ou encore la faculté
de jouer avec nos sens et nos perceptions (Morellet, Cruz-Diez, etc.), sans jamais épuiser leur part d’énigme (Wald Rahad, Jeff Wall, etc.).
Si l’exposition déroule une histoire de l’art très « officielle » dont sont d’emblée exclues les marges (ni Art brut, ni graffiti, ni bande dessinée…), elle a ceci d’original qu’elle fait la part belle à la réception. Le musée imaginaire de Malraux était d’abord un « lieu mental » fait de la mémoire des œuvres produites depuis les origines de l’homme et circulant dans l’inconscient collectif. À sa suite, le musée imaginé se donne pour un processus d’appropriation. D’où le choix d’inviter des artistes contemporains (plasticiens, écrivains, etc.) à interpréter les œuvres présentées sous forme de performances,
de nouvelles ou de dessins.
De la même manière, la dernière salle, conçue comme un « studio de mémorisation », propose au public de laisser sur une carte un mot ou une image synthétisant sa vision de l’art et de l’exposition. Comme si, à l’ère de la reproductibilité technique et de la dématérialisation, la capacité à assimiler la création, à l’interpréter, bref à se faire homme ou femme-œuvre, était encore le moyen le plus sûr de participer à sa pérennité.
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Le dernier musée
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Abonnez-vous dès 1 €Jusqu’au 27 mars 2017. Centre Pompidou-Metz. 1, parvis des Droits de l’Homme, Metz (57). Tarifs : de 7 à 12 €. Commissaires : Hélène Guenin, Francesco Manacorda, Darren Pih et Peter Gorschlüter. www.centrepompidou-metz.fr
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°696 du 1 décembre 2016, avec le titre suivant : Le dernier musée