Claudine Tiercelin, philosophe

Le colloque a montré que la peinture n’est pas morte

Par Philippe Piguet · L'ŒIL

Le 22 janvier 2015 - 594 mots

Professeur au Collège de France, Claudine Tiercelin a organisé en octobre dernier dans le cadre de sa chaire de métaphysique et de philosophie de la connaissance, sous la direction scientifique de Thomas Lévy-Lasne et de Marc Molk, un colloque sur «Â La Fabrique de la peinture ».

Qu’est-ce qui vous a donc conduite à vouloir organiser un tel colloque dans cette prestigieuse enceinte ?
Claudine Tiercelin Initialement, l’intérêt était purement académique. Mon cours portant cette année sur la connaissance pratique, j’ai voulu approfondir le type de savoir que met en œuvre cette pratique artistique particulièrement complexe qu’est la pratique picturale. Lorsqu’un artiste peint un tableau, bien que ce soit aujourd’hui très différent par rapport à un passé même récent, il peint un objet. Même si, comme le soulignait déjà Étienne Gilson dans son ouvrage Peinture et réalité, la fabrique d’une toile est une relation à trois termes : l’exécution (le processus), le sujet (le peintre) et l’objet (le tableau achevé).

Votre objectif était donc d’inviter à réfléchir sur le pourquoi et le comment qui conduit le peintre à la fabrication d’un tableau ?
On pense a priori que le type de savoir que met en œuvre la peinture est plus de l’ordre d’un savoir-faire, d’une aptitude ou d’un talent. C’est vrai, mais la peinture n’évacuant jamais l’objet, il faut aussi interroger les propriétés (matérielles, mais aussi esthétiques) de cet objet, et la manière dont il peut ou non faire référence à la réalité. Un certain discours sur la peinture ou sur la pratique artistique en général tend de plus en plus à réduire l’objet au contexte, à l’expérience esthétique. Il y aurait autant d’œuvres d’art que de manières de faire des mondes. Mais peut-être y a-t-il plus d’invariants (de tous ordres) qu’on ne le croit. On n’est jamais loin, en fait, y compris en art, de la métaphysique.

En quoi cette connaissance-là participe-t-elle à l’intelligence du sens ?
Le sens est une notion très vague qu’il faut manipuler avec précaution. Le sémioticien Charles S. Peirce pensait que la signification se définit comme une triple fonction indissociablement symbolique, iconique et indexicale. On a là, je crois, une grille d’analyse intéressante pour la peinture. Ainsi, lors du colloque, plusieurs peintres ont dit qu’ils travaillaient à partir d’images, mais le sens qu’ils leur donnaient et leur rapport à celles-ci étaient très différents de l’un à l’autre. L’un a parlé d’« image fantôme », l’autre d’« image efficace », etc. la question est de savoir comment ils se réapproprient la fonction iconique.

S’intéresser à « la fabrique de la peinture » permet donc de mieux la comprendre ?
Cela confirme déjà que notre manière de penser selon des schémas dualistes (du type : figuratif versus abstrait ou conceptuel) est à revoir, et qu’il vaut sans doute mieux se concentrer sur l’analyse des fonctions, symbolique, indexicale, iconique, qui contribuent à la construction d’un espace de signification. Maints faux problèmes qui se posent aujourd’hui relativement à la peinture seraient peut-être évités si on recourait à d’autres grilles de lecture. Mais surtout, il faut s’élever contre l’idée que la peinture serait morte et que les peintres n’auraient rien à raconter. Le colloque aura magistralement montré, je crois, que c’est tout le contraire. Dès qu’on s’applique à déterminer ce qui se passe au juste dans le processus de fabrication d’une toile, on voit très vite que c’est une opération intellectuelle extrêmement complexe qui oblige à sortir des schématismes habituels, et qu’on est en présence d’un authentique savoir.

Les conférences données par les différents intervenants invités au Collège de France les 30 et 31 octobre, dont Eva Nielsen, Amélie Bertrand, Gregory Forstner…, sont visibles et podcastables sur le site www.college-de-france.fr

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°676 du 1 février 2015, avec le titre suivant : Le colloque a montré que la peinture n’est pas morte

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