Installations

Latifa Echakhch suspend le temps

Par Alain Quemin · Le Journal des Arts

Le 26 février 2013 - 743 mots

Bénéficiant d’une riche actualité, Latifa Echakhch présente au Mac de Lyon ses instantanés comme autant d’énigmes mêlant présent et passé, évolution et immuabilité.

LYON - Née au Maroc en 1974, mais arrivée en France à l’âge de trois ans, Latifa Echakhch compte parmi les jeunes artistes d’origine maghrébine qui, désormais, apportent une belle vitalité à la scène française de l’art contemporain. Comme plusieurs d’entre eux, son travail s’épanouit notamment dans la pratique de l’installation. Le succès est déjà au rendez-vous, se traduisant par une actualité particulièrement riche. Une exposition personnelle intitulée « Die Vögel » (Les oiseaux) au prestigieux Portikus de Francfort depuis novembre 2012 jusqu’à ce mois de février, et une autre, « Goodbye Horses », sur la même période, au Kunsthaus de Zürich, ont précédé « Laps » que présente le Musée d’art contemporain de Lyon jusqu’en avril prochain. Il convient d’ajouter à cela une troisième exposition personnelle au Hammer Museum de Los Angeles, de ce mois de février jusqu’au mois de juillet, et deux autres prochaines présentations, collectives, de son travail : au Centre d’art contemporain de Genève, de mars à mai, ainsi qu’une participation à la 11e biennale de Sharjah (Émirats arabes unis) qui se tiendra entre les mois de mars et de mai. Voilà bien l’intérêt que soulève désormais internationalement le travail de l’artiste. Enfin, Latifa Echakhch a été récemment nommée parmi un ensemble de quatre jeunes artistes au prix Marcel Duchamp 2013 et l’on saura, lors de la prochaine édition de la Fiac, si elle se voit attribuer le prestigieux prix d’art contemporain français. Outre les qualités propres de ce travail, il convient de voir dans cet éclatant succès tout le soutien de la galerie Kamel Mennour qui représente l’artiste et qui n’hésite pas à s’investir pour produire des oeuvres.

Énigmes multiréférentielles
Comme chez d’assez nombreux artistes pratiquant l’installation, la critique mentionne assez souvent la poétique du travail de Latifa Echakhch, renvoyant au caractère fréquemment mystérieux de ses compositions. L’artiste ne confirme-t-elle pas ? : « J’aime les mots et l’espace des mots […] Si je n’avais pas trouvé le moyen d’exercer le métier d’artiste, j’aurais écrit de la poésie ». En procédant par association d’objets, qu’elle se contente de les rapprocher ou bien qu’elle les transforme ou encore qu’elle les crée de toutes pièces, Latifa Echakhch fabrique des « paysages personnels » et se place du côté de l’énigme. En cela, on peut voir dans son travail un lien avec le surréalisme, discrètement évoqué, lorsqu’elle compose, par exemple, une installation à partir de chapeaux melon qui peuvent évoquer Magritte. Ce d’autant plus que ces objets censés recouvrir la tête sont ici posés au sol, démultipliés et emplis de liquide sombre composant une « mer d’encre ». Cette matière sombre, aussi liquide que prégnante, constitue l’un des « fils rouges » de l’exposition, se retrouvant également mobilisée dans l’élaboration de diverses pièces comme des toiles rondes et initialement blanches en partie recouvertes par des projections d’encre noire qui, accrochées aux murs, peuvent évoquer des astres mystérieux.

Cette même noirceur se retrouve aussi à la surface de pierres lithographiques vernies qui, accrochées aux murs, deviennent des ornements énigmatiques. Le conscient et l’inconscient ne sont jamais loin l’un de l’autre. Si le noir et le blanc sont si présents, c’est sans doute que rôdent le passé et la disparition, des fantômes aussi. Deux couleurs qui peuvent jouer aussi un grand rôle dans l’identité de l’artiste, à la fois femme – le mariage en blanc, le deuil en noir en Occident – et arrachée au Maghreb dès l’enfance – l’on songe ici au costume – et qui sont très présentes. Pourtant, le sens n’est jamais fermé et peut autant se créer par rapport à la trajectoire de l’artiste que par référence aux expériences de la personne qui regarde, ou plutôt qui se fond dans l’œuvre, car celle-ci enveloppe souvent le spectateur qui devient comme participant à travers ce qu’il apporte. Ce qui saisit avant tout, dans le travail de Latifa Echakhch, c’est la fréquente économie de moyens, ses installations restent d’une grande légèreté. On est frappé aussi par sa capacité à investir l’espace malgré une intervention qui reste retenue. L’artiste confie ainsi concevoir ses œuvres et ses expositions comme des paysages, d’où le sentiment d’espace justement ressenti quand on les découvre. L’instant est suspendu, en un laps de temps.

Latifa Echakhch, Laps,

jusqu’au 14 avril, Musée d’art contemporain de Lyon, Cité internationale, 81 quai Charles de Gaulle, 69006 Lyon, www.mac-lyon.com, mercredi-dimanche 11h-18h

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°386 du 1 mars 2013, avec le titre suivant : Latifa Echakhch suspend le temps

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