Les designers auraient-ils la phobie de la poussière ? Pas moins de trois aspirateurs ont concouru, fin 2004, à l’obtention d’une des « Étoiles 2005 de l’Observeur du design » que décerne chaque année l’Agence pour la promotion de la création industrielle à des produits qu’elle juge « les plus innovants de notre environnement quotidien » (1). Un seul a été récompensé : l’aspirateur-balai Pronto de Moulinex, dessiné par Sebastian Bergne.
Sa silhouette, celle de l’aspirateur non celle du designer – lequel déploie allégrement deux mètres sous la toise –, est plutôt fluette. De face, il se tient droit comme un i. De profil, on dirait un pénitent recueilli, la tête légèrement inclinée vers l’avant. Ses qualités sont multiples : encombrement réduit donc (13 cm d’épaisseur et 120 cm de haut), poids plume (2,3 kilos), quasiment silencieux (73 décibels). En outre, il est sans sac, et sans fil, grâce à une batterie électrique d’une autonomie de dix-huit minutes. Enfin, Sebastian Bergne l’a habillé de couleurs pastel – figue et « vert granny » –, qui lui donnent d’office une certaine empathie. Bref, aucun signe d’un design ostensible, ce qui est la marque de ce designer anglais né à Téhéran en 1966, diplômé du Royal College of Art de Londres et installé à Bologne depuis 2000. Son approche du design est tout sauf démonstrative. Elle serait même plutôt d’apporter une certaine satisfaction à l’utilisateur : « Si un objet peut stimuler un sourire, c’est qu’il a été bien dessiné », estime Bergne. C’est assurément le cas de l’aspirateur Pronto et de
sa forme anthropomorphe. Tout comme de ces petites marionnettes en bois, les Action Figures, qu’il vient de concevoir pour la firme japonaise Muji. Ou encore de ces drôles de noms dont il a affublé une collection de mini-lampes-tables, pour l’éditeur italien Luceplan : Oncle, Tante et Neveu.
Cela fait maintenant deux ans que Sebastian Bergne travaille pour Moulinex, cette filiale du groupe Seb. Si l’aspirateur Pronto est le premier objet à être commercialisé, une dizaine de projets sont actuellement en phase de développement, dont des produits pour le soin des bébés. En outre, devraient bientôt sortir deux mini-hachoirs. On l’aura compris, la gamme tout entière usera de ce même vocabulaire : minimal et discret.
« Aspirateur glamour »
Moulinex a lancé l’aspirateur d’appoint Pronto en octobre 2004. Comme la firme aime à « communiquer », elle n’a pas hésité « à l’occasion des fêtes de fin d’année » à mettre en vente, en décembre, une version « relookée » par une décoratrice excentrique, Agatha Ruiz de la Prada. Et, comme il se doit, en édition ultra-limitée (« 25 exemplaires seulement »), disponible uniquement dans un haut lieu parisien, le Publicisdrugstore, et avec un supplément de prix de 25 %. La décoratrice a, en fait, simplement collé sur l’aspirateur quelques fleurs orangées (« une pincée de fleurs magiques dispersées avec talent », dixit le communiqué de presse), pour obtenir ce que Moulinex appelle « l’objet fétiche et tendance », « l’aspirateur le plus glamour du moment ». Question : est-il « glamour » de passer l’aspirateur ?
Au final, on en vient à se demander si la société a bien compris le produit qu’elle met en vente : Agatha Ruiz de la Prada est l’antithèse de Sebastian Bergne, mais à quoi cela sert-il de faire brailler un objet silencieux ? Si, pour une raison de communication, Moulinex peut avoir de moins nobles aspirations, n’est-elle pas, à cette occasion, tout bonnement à court d’inspiration ?
(1) Sur 165 propositions reçues cette année par l’Observeur du design, 31 produits ont obtenu une « Étoile 2005 » et sont actuellement visibles dans une exposition présentée, jusqu’au 13 février, à la Cité des sciences et de l’industrie, 30, av. Corentin-Cariou, 75019 Paris. Tél. 01 40 05 80 00.
L’aspirateur Pronto est en vente dans les grands magasins au prix de 80 euros.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
L’aspiration au bonheur
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°207 du 21 janvier 2005, avec le titre suivant : L’aspiration au bonheur