Art contemporain

L’art vibratoire d’Oliver Beer

Par Anne-Cécile Sanchez · L'ŒIL

Le 26 novembre 2024 - 1413 mots

À la croisée de la musique et des arts plastiques, l’artiste britannique explore, dans ses installations, les phénomènes de résonances et de vibrations produits par des objets ou des voix. Après un passage remarqué à la Biennale de Lyon, Oliver Beer s’arrête au Musée d’art moderne de Paris début 2025. Rencontre.

Saluée par une presse unanime et enthousiaste, son installation vidéo multi-écrans The Cave, tournée dans un site préhistorique sanctuarisé, a fait sensation lors de l’ouverture de la Biennale de Lyon, en septembre dernier. Et le public suit, confirme Isabelle Bertolotti, directrice artistique de la Biennale : « C’est une œuvre qui suscite beaucoup d’émotions, et qui fédère une très large audience. En reconstituant l’espace intime et enveloppant de la grotte, dans laquelle prend place un chant polyphonique envoûtant, Oliver Beer a créé une expérience d’écoute partagée. Les visiteurs s’attardent d’ailleurs longtemps à l’intérieur et parfois même chantent, en écho aux voix des interprètes. » D’une installation sur le pont des Arts (Nuit Blanche 2016, Paris) à la projection d’une de ses vidéos sur la place de Piccadilly Circus, à Londres, en septembre dernier (dans le cadre du Circa Prize 2024), de l’Opéra Garnier à celui de Sydney, du Mac Lyon au Met Breuer, à New York, Oliver Beer (né en 1985) a déjà été à l’affiche de nombreux musées et de plusieurs manifestations dans le monde. Toujours au croisement de l’art et de la musique, il enchaîne les projets. C’est au Musée d’art moderne de Paris, devant un immense plan de travail collectif rétroéclairé où sont alignées des rangées de crayons de couleurs, que l’on retrouve l’artiste britannique, pour évoquer avec lui le dernier en date A Thousand Voices, de la série « Reanimation Paintings » [lire p. 53].

Premiers contacts avec l’art et la musique

Musicien de formation, Oliver Beer est diplômé de la Ruskin School of Art d’Oxford et a également étudié la théorie cinématographique à la Sorbonne. Il aurait pu devenir pianiste, compositeur, chanteur de rock, réalisateur, critique de cinéma… ou optométriste, comme son père. Les interactions entre le son et l’espace architectural sont au cœur de ses recherches et de ses œuvres. Aussi loin qu’il s’en souvienne. « J’ai grandi dans le Kent, dans un environnement rural, sans aucun référent artistique, raconte-t-il. Jusqu’au jour où une voisine en délicatesse avec les huissiers a demandé à mes parents si elle pouvait cacher quelque temps son piano dans notre grange. Il se trouve que c’était un Steinway. J’avais huit ans et j’ai été fasciné par l’apparition, chez nous, de cet objet étrange et merveilleux. » La voisine mélomane prodigue quelques leçons à l’enfant, avant de disparaître dans la nature. Mais Oliver Beer, qui dessine déjà beaucoup, a contracté à son contact le virus de la musique. Celui-ci ne le quittera plus. « Très tôt, je me suis intéressé aux phénomènes de résonance, j’étais capable de percevoir les harmoniques dans le bruit mécanique d’un train qui passait, je bricolais aussi de petits instruments », se souvient-il. Il continue en autodidacte à apprendre à jouer du piano, développant un talent d’interprète qui lui permet de décrocher une bourse et d’intégrer un établissement d’excellence. Sa première rencontre mémorable avec une œuvre d’art, il la date précisément d’une visite scolaire à la Tate Modern. Il a treize ans et ne s’est jamais auparavant rendu dans un musée. Il y tombe en arrêt devant un tirage photographique de Donald Rodney : une image en gros plan de la paume de l’artiste, dans le creux de laquelle est posée une construction minuscule en forme de maison (In the House of My Father, 1996-1997). Fasciné, il apprend que Rodney a conçu la sculpture miniature à partir de prélèvements de sa propre peau, lors d’une des nombreuses opérations qu’il a subies pour lutter contre la drépanocytose, une maladie génétique rare. Cette vision, ce qu’elle contient d’intime et d’universel, bouleverse Oliver Beer et lui tient lieu d’épiphanie. Devenu, quelques années plus tard, membre d’un groupe de rock au succès éphémère, il le quitte sans hésiter pour se consacrer à des études d’arts plastiques.

Exprimer une émotion indicible

S’il a choisi la voie de l’art contemporain plutôt que celle de la musique et de la scène, c’est pour exprimer au plus juste une émotion indicible, liée à la sensation physique du son dans l’espace. « Le son a une forme, explique-t-il. Quand vous passez un doigt sur le rebord d’un verre, la note émise provient de la friction, mais c’est tout le corps du verre qui l’amplifie. Il se passe la même chose si vous faites entendre votre voix dans une salle. » Depuis 2007, Oliver Beer a « fait chanter », selon sa formule, des lieux aussi divers que des parkings, des musées, des égouts ou la grotte préhistorique de Font-de-Gaume, en Dordogne pour son installation The Cave. « Avant même de descendre, je savais que cet espace allait chanter, relate-t-il. J’ai chuchoté une note et la grotte a crié la sienne. Les archéologues eux-mêmes étaient étonnés, et c’est comme cela que j’ai obtenu l’autorisation de filmer plusieurs heures à l’intérieur de ce site très préservé, où j’ai conduit huit chanteurs différents. J’ai même découvert qu’il semble y avoir une concentration de peintures rupestres autour des endroits où l’acoustique est la meilleure. » Ainsi le son nous relie-t-il à nos origines – et à celle des croisements fertiles de la musique et des arts visuels. Cette inscription physique dans l’espace et le temps était en jeu dès sa première œuvre, Oma’s Kitchen Floor (2008). À la mort de sa grand-mère, qui l’a en partie élevé, Oliver Beer décide de conserver le linoléum de la cuisine de cette dernière. L’usure du revêtement consigne les mille et un pas quotidiens de son aïeule, entre la table et l’évier, devant le four et le frigo : « À la façon d’un dessin réalisé en quarante ans, ces traces décrivent la moitié d’une vie de mouvement », explique-t-il. C’est cette même Oma qui lui chantait « Black Is the Colour of My True Love’s Hair »… « Bien plus tard, lorsque j’ai entendu cet extrait musical de mon enfance interprété par Nina Simone, chargé d’une tout autre dimension symbolique, j’ai été submergé par une émotion qui résonnait à la fois avec mes souvenirs personnels et avec une histoire collective. » Qu’il invite des centaines d’enfants à réinterpréter des images extraites du film d’animation Blanche Neige pour en tirer une variation bariolée et hallucinatoire du chef-d’œuvre original de Disney (Reanimation : Snow White, 2014) ou qu’il orchestre à Hangzhou, en Chine, un « concert de chats » (38 figurines félines en porcelaine creuse reliées à des microphones afin d’en capter les fréquences actionnées par un clavier (Resonance Paintings - Cat Orchestra), Oliver Beer, en nous invitant à ouvrir grand nos yeux et nos oreilles, vise toujours le cœur, pour mieux faire vibrer en nous le sentiment de l’ineffable.

 

1985
Naissance au Royaume-Uni
2007
Début de « Resonance Project » explorant les harmonies des structures architecturales (toujours en cours).
2013
Intègre la galerie Thaddaeus Ropac
2025
« Reanimations Paintings : A Thousand Voices » – 2e partie (du 11 avril au 13 juillet), au Musée d’art moderne de Paris

L’enfance de l’art au Mam 


Oliver Beer a été invité par le Musée d’art moderne de Paris à créer un projet participatif. Intitulé « Reanimation Paintings : A Thousand Voices ». Celui-ci implique des milliers d’enfants et d’adolescents dans un processus créatif en dialogue avec les collections.Pour ce projet vous avez sélectionné quatre œuvres : lesquelles et pourquoi ? Il s’agit d’œuvres de Victor Brauner, de Nina Childress, de Sonia Delaunay et de Georges Rouault : je les ai choisies car toutes ont un lien avec la musique. La première phase consiste en une collecte de dessins et de sons… J’ai voulu installer l’atelier dans le musée : jusqu’en janvier prochain, les enfants et les adolescents peuvent s’inscrire gratuitement pour venir dessiner à partir d’une de ces œuvres ou exprimer de façon sonore ce qu’elle leur inspire. Ce sont ces mêmes enfants qui vont un jour hériter de ce musée. Qu’allez-vous faire de ces dessins et de ces enregistrements ? Les dessins seront assemblés et tirés sur pellicule à 12 images par seconde pour créer quatre vidéos. Les sons enregistrés formeront la base de la bande-son qui les accompagnera. Ces films seront projetés au Musée d’art moderne au printemps 2025.

Anne-Cécile Sanchez

 

Atelier de collecte de dessins et de sons, jusqu’au 12 janvier 2025 ; exposition des films produits par Oliver Beer, du 11 avril au 13 juillet 2025 ; Musée d’art moderne de Paris, 11, avenue du Président Wilson, Paris-16e, www.mam.paris.fr

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°781 du 1 décembre 2024, avec le titre suivant : L’art vibratoire d’Oliver Beer

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