À l’heure où les versions grand public de l’Oculus Rift et de la PlayStation VR de Sony sont en passe d’être commercialisées, la réalité virtuelle – expression impropre mais commode – pourrait cesser d’être un topo science-fictionnel pour devenir un gisement commercial aux applications multiples, du jeu vidéo à l’industrie du porno.
Si les freins à la diffusion des dispositifs d’immersion du regard, notamment les nausées qu’ils provoquaient jusqu’alors, semblent partiellement levés, leurs effets possibles sur les comportements des utilisateurs et plus largement sur leurs représentations demeurent en revanche incertains. Quelles sont les potentialités ouvertes par ce supplément de simulation ? Quels en sont les risques et limites ? Ces questions n’intéressent pas seulement les chercheurs en neurosciences et les acteurs du divertissement de masse, mais aussi les artistes. Cet automne à Londres, le Canadien Jon Rafman invitait ainsi le public de la Collection Zabludowicz à parcourir un vaste labyrinthe muni d’un casque Oculus Rift. À l’illusion créée par le dispositif technologique se superposait dans l’espace réel une installation ménageant un véritable parcours labyrinthique. Dans l’application de l’artiste à flouter la distinction entre réalité et simulacre, il faut sans doute voir une simplification à l’extrême des questions soulevées par les dispositifs « virtuels », au premier rang desquels le risque d’une confusion tous azimuts. Confusion entre monde simulé et monde réel bien sûr, mais aussi entre moi et l’autre, entre mon espace et le sien, entre nos deux visions.
Cette intuition que la réalité virtuelle pourrait remodeler les identités est au cœur de deux projets mobilisant des dispositifs d’immersion. Le premier, conçu, mais non réalisé à ce stade, par
le Londonien Mark Farid, se conçoit comme une plongée dans la vision subjective d’un autre. Dans Seeing I, l’artiste invite en effet des participants triés sur le volet à lui donner littéralement à voir, pendant vingt-huit jours, le détail de leur existence la plus banale et la plus quotidienne. Au-delà de l’expérience elle-même, la performance semble s’annoncer comme une critique quasi « baudrillardienne » de la réalité comme simulacre : pour Mark Farid, en effet, il semblerait que les dispositifs tels que l’Oculus Rift ne marquent pas une rupture, mais un simple degré de plus vers un processus de déréalisation déjà largement engagé. Pour le collectif Be Another Lab, au contraire, l’avènement de la réalité virtuelle pourrait ouvrir vers un nouveau mode d’être au monde caractérisé par un surcroît d’empathie. Fondée sur des dispositifs open source au coût accessible, leur « machine to be another » propose littéralement de « se mettre à la place de l’autre », que cette altérité prenne la forme du sexe opposé, d’un autre âge, d’une autre relation au corps (le handicap par exemple) ou à l’espace (le migrant). Une expérience résumée tout entière par cette question à la fois psychologique et politique : « Si j’étais toi, me comprendrais-je mieux moi-même ? » La réalité virtuelle pourrait enfin révolutionner le champ esthétique. C’est en tout cas ce que suggère le VRLab initié par l’artiste français David Guez : « Ces nouvelles interfaces qui proposent la vision augmentée correspondent, d’un point de vue esthétique, à un véritable changement de paradigme quant à la notion de perspective, explique-t-il sur le site Internet du laboratoire […]. Pour résumer, nous pourrions dire que le casque VR va devenir la prochaine interface grand public qui va relier les différents mondes que nous connaissons et donc offrir une réelle “ nouvelle vision du monde ”. »
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L’art va-t-il devenir réalité ?
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°686 du 1 janvier 2016, avec le titre suivant : L’art va-t-il devenir réalité ?