L’Imperial War Museum, à Londres, se penche sur les origines du camouflage et évoque les influences des peintures cubistes. D’utilitaire, le motif s’est aventuré sur le terrain de la mode.
LONDRES - Drôle d’endroit pour une exposition d’« art » que l’Imperial War Museum [Musée de la guerre], à Londres. Ce dernier propose en effet une vaste rétrospective intitulée « Camouflage », sur cette technique qui, à l’origine, consistait à déguiser de façon à rendre méconnaissables ou indiscernables les troupes et le matériel de guerre. L’exposition est construite autour de quatre grands thèmes : « Dissimuler », « Déformer », « Tromper » et « Afficher ». Les trois premiers volets, captivants, décortiquent en long et en large les différentes manières de cacher un objet en changeant sa couleur, sa silhouette, sa texture ou son motif, afin qu’il ressemble le plus possible à son arrière-plan.
Premiers dans l’histoire à avoir fait des recherches sur le camouflage : les naturalistes. Dès le XVIIIe siècle, nombre d’entre eux ont identifié des mécanismes de camouflage que développent les animaux pour survivre. L’art de la dissimulation militaire, lui, ne se développera qu’au cours de la Première Guerre mondiale. La raison ? L’usage de la reconnaissance aérienne oblige les militaires à révolutionner complètement leurs façons de se cacher. Sont alors appelés à la rescousse quelques naturalistes, mais surtout des artistes. Ces derniers développent notamment la technique du disruptive pattern [« motif perturbé »], qui « altère » l’apparence des soldats et des équipements, les rendant ainsi plus difficilement reconnaissables. En France, le peintre Lucien-Victor Guirand de Scévola, considéré avec son confrère Eugène Corbin comme l’un des pères du camouflage moderne, fonde, en février 1915, la « Section de camouflage », première unité militaire officielle au monde. « Dans le but de déformer totalement l’aspect d’un objet, j’ai employé les moyens que les cubistes usaient pour le représenter », souligne-t-il. Ces dessins irréguliers seront appliqués partout : sur l’équipement militaire, les moyens de transport, les bâtiments et les uniformes. Comme le montrent ce Manteau avec motif peint à la main imaginé par Corbin avec le peintre Louis Guingot, ou encore ce dessin représentant des motifs de losanges irréguliers aux couleurs variées, utilisés par l’armée allemande. Le cubisme a-t-il réellement inspiré le motif camouflage ? Nul ne sait.
Au Royaume-Uni, le peintre Norman Wilkinson invente, lui, le motif dazzle, mot sans doute emprunté au peintre naturaliste américain Abbott Handerson Thayer qui, dans ses écrits consacrés au camouflage dans la nature, use de l’expression « razzle-dazzle » (semer la confusion). Ce motif dazzle se caractérise par un emploi de puissants contrastes colorés et de lignes brisées qui ne sont pas sans évoquer les productions à venir de l’art cinétique. Il était censé rendre plus difficile le jugement des commandants de sous-marins allemands quant à la forme et la vitesse des bateaux britanniques. De l’été 1917 à l’été 1918, pas moins de 2 300 bâtiments de guerre ou de commerce revêtiront ces étonnantes parures. Comble de subtilité : pour augmenter la « confusion visuelle », les peintures à bâbord étaient différentes de celles situées à tribord. En témoigne une incroyable série de maquettes et de dessins bariolés, assurément la partie la plus surprenante de l’exposition.
Augmenter son attrait
Traitée de manière plus anecdotique, la dernière thématique, elle, éveille d’entrée la curiosité tant son titre – « Afficher » – va à l’encontre de l’objectif premier du camouflage. Celle-ci explore en fait différentes appropriations civiles de ce symbole fort de l’identité militaire. À partir des années 1960, sa signification change : le motif ne sert plus à cacher, mais à se montrer. Porté par les militants anti-guerre, expérimenté par les artistes – les séries Camouflages Andy Warhol et Mimetico d’Alighiero Boetti, dont on peut voir ici une pièce… –, puis repris par les groupes de hip-hop ou de rock, le motif camouflage apparaît dans la mode des années 1990. Sont ici présentées plusieurs robes signées Jean-Charles de Castelbajac, Yohji Yamamoto ou Jean Paul Gaultier. « Il y a une certaine ironie dans l’utilisation de cette impression camouflage, dessinée pour dissimuler les soldats sur le théâtre des opérations, au profit d’un but totalement opposé : celui d’ornementer et d’augmenter son attrait auprès du sexe opposé », estime, lucide, le styliste John Galliano.
Aujourd’hui, imagerie thermique, matériaux absorbants et autres technologies furtives ont pris le dessus sur la dissimulation « traditionnelle ». Le devenir du camouflage est désormais entre les mains des scientifiques, non plus des artistes.
Jusqu’au 18 novembre, Imperial War Museum, Lambeth Road, Londres, tél. 44 207 416 5320/5321, www.iwm.org.uk, tlj 10h-18h. Catalogue, éd. Thames & Hudson, en anglais, 192 p., 47 euros, ISBN 978-0-500-51347-7.
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L’art de la dissimulation
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Abonnez-vous dès 1 €- Commissaire de l’exposition : James Taylor, historien, Imperial War Museum, Londres - Scénographie : Casson Mann - Nombre de pièces : 200
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°267 du 19 octobre 2007, avec le titre suivant : L’art de la dissimulation