Pantin - Au XVIIe siècle, l’amour se concevait comme un paysage. C’était une « carte de Tendre » où l’on frayait entre jolis vers, billets doux, estime, tendresse et sincérité, où les écueils rencontrés en chemin se nommaient Perfidie, Négligence ou lac d’Indifférence.
En ce début de XXIe siècle, la géographie amoureuse a pris une autre forme : dans « Futures of Love », présentée jusqu’au 20 octobre 2019 aux Magasins généraux, siège de BETC à Pantin, elle se donne pour un labyrinthe. Selon Anna Labouze et Keimis Henni, commissaires de l’exposition, il faut lire dans cette organisation spatiale une « métaphore des méandres de l’amour, du plaisir, du temps et des grandes étapes de la vie amoureuse ». Pas simple en effet de s’orienter dans le paysage amoureux contemporain. Les œuvres rassemblées à Pantin en huit chapitres déconcertent, et c’est d’ailleurs un vœu des commissaires que de produire l’égarement, en supprimant tout cartel : un simple dépliant sert de guide au visiteur. Une majorité d’entre elles expurge aussi ce qui constituait la matière de la Carte du Tendre,à savoir une large palette de sentiments et d’émotions. Dans « Futures of Love », le discours amoureux a cédé la place à la mécanique des corps et au calcul des algorithmes. Au seuil de l’exposition, une œuvre interactive de Natalia Alfutova, Rabbit Heart, souligne d’ailleurs cette bascule avec ironie. Après avoir enregistré à l’entrée ses données personnelles et consenti à être pris en photo, le visiteur s’y découvre, sur un écran, en avatar vêtu d’un costume de lapin. Il se mêle aux doubles numériques d’autres visiteurs, saute de l’un à l’autre selon l’analyse qu’un algorithme aura produit de ses données, copule, se bagarre, converse par simples emoticons. De cette pantomime virtuelle, il est le spectateur passif : la machine décide des gestes de son double, et de ses interactions avec d’autres. Si le parcours de « Futures of Love » agrège une large palette de médiums et n’exclut ni dessins ni toiles, il fait la part belle aux écrans, robots et casques de VR. L’amour y est médiatisé, sinon orienté par des dispositifs et des interfaces. On le disait aveugle, il devient pulsion scopique livrée au vertige du multiple. À cela rien d’étonnant, quand on sait que Tinder est partenaire de l’événement. De même que nombre d’œuvres identifient l’amour contemporain à une simple donnée, il est beaucoup question de sexualité dans l’exposition, dont un avertissement prévient qu’elle peut « heurter la sensibilité des visiteurs, notamment des plus jeunes ». La médiation des écrans y mène à la pornographie : chez Camille Henrot, elle se donne à voir à travers trois dessins intitulés Skype Sex ; chez Amalia Ulman, dans un photomontage où la jeune femme apparaît maculée de liquide séminal ; dans The Truth Table Experience d’Ed Fornieles, elle invite à une expérience où le visiteur, muni d’un casque de VR, multiplie les positions et partenaires sexuels. Ici et là, pourtant, l’idée que l’amour romantique aurait péri avec les sites de rencontres et les algorithmes se défait. La dernière section de « Futures of Love » est ainsi consacrée à « l’amour infini » et explore ce que pourrait être le sentiment aujourd’hui. Mais alors, c’est la nostalgie qui prévaut. Ainsi, la gracieuse bande d’adolescents berlinois filmée dans Slowset (2019) par Nick et Chloé renvoie le slow, rituel adolescent que le film tente de raviver, à un âge lointain, presque aussi lointain que la carte de Tendre…
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L’amour au temps des algorithmes
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°726 du 1 septembre 2019, avec le titre suivant : L’amour au temps des algorithmes